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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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le chercher inopinément et cette urgence était tombée mal.
    Alvaro et Margarida recevaient en haut de l’escalier d’honneur leurs invités, conduits jusqu’à eux avec déférence par le maître d’hôtel cafre portant manteau et épée. Les hommes en capes de velours, leurs épouses en grande robe et mantille noire montaient les degrés à pas étudiés, entre deux haies de porteurs de flambeaux que les parures de diamants faisaient éclater en étincelles. La livrée orange et bleue des Fonseca, harmonieusement contrastée en couleurs gaies, paraissait ce soir-là traversée de bandes heurtées presque blanches et d’un bleu sombre de lapis-lazuli. Cet effet d’optique dû à la lumière chaude des chandelles qui éclaircissait l’orange et fonçait le bleu énervait les serviteurs indiens car l’indigo était une couleur d’infamie. Le phénomène intriguait la jeune femme. Toute à sa perplexité rêveuse, elle ne remarqua pas l’arrivée devant elle d’un couple de notables que son mari était descendu précipitamment accueillir sur le seuil. Alvaro l’interpella.
    — Margarida ! Le vedor et la senhora de Melo nous font l’honneur de leur présence.
    Garcia de Melo, le contrôleur des finances, était une figure essentielle de Goa. Second personnage laïque juste après le vice-roi, il était titulaire d’une charge qui faisait rêver. L’une des plus grosses prébendes institutionnelles des Indes orientales. L’ampleur de ses revenus semblait à la dimension de sa ceinture. Parmi les « gros ventres » de Goa, son embonpoint était exemplaire. On s’en moquait avec discrétion. Son intégrité n’était pas exempte de rumeurs, mais on lui reconnaissait unanimement l’intelligence et l’envergure d’un haut dignitaire compétent assumant sa charge avec talent. Elle était excessivement lourde car la gestion financière de la Carreira da India, établie sur un réseau inextricable et fluctuant de monnaies et de cours d’achats et de ventes, était un tour de force. L’un dans l’autre, dom Garcia servait le roi du mieux possible, avec un complet dévouement à la hauteur légitime de ses appointements exorbitants. Il avait l’air très sombre, comme s’il était de mauvaise humeur.
    — Ne martyrisez pas la senhora Fonseca, dom Alvaro. Nous avons bien d’autres soucis ce soir. Quelles sont les nouvelles du gouverneur ?
    — Il se porte à merveille, dom Garcia. Je l’ai quitté toujours aussi déterminé.
    Son mari avait pris sa taille dans un geste intime qui surprit Margarida et la gêna. La vie libertine de Goa n’interférait pas avec la stricte étiquette des relations mondaines. Le vedor était manifestement stupéfait.
    — Dieu soit loué. Déjà ? Quand sortira-t-il de Rey Nosso Senhor ?
    — Plaît-il ?
    Alvaro avait blêmi et n’avait pu réprimer un haut-le-corps.
    — Le gouverneur accordait une audience privée à l’ambassadeur de l’Adil Khan lorsqu’il a eu un malaise cet après-midi. C’est du moins ce que l’on m’a rapporté voici une heure alors que je rentrais d’une inspection à Panjim. La rumeur déforme les faits puisque vous étiez avec lui. Goa se sera affolée à tort.Vous me donnez l’heureux avis que dom André est hors de danger.
    Dom Alvaro avait reçu de plein fouet une nouvelle qu’il ignorait. Le vedor regarda l’intendant d’un œil étonné, faillit dire quelque chose et se ravisa. Se tournant vers Margarida, il la salua d’une inclinaison de tête et s’éloigna vers les pièces de réception en entraînant d’autorité sa femme qui s’attardait.
    L’éclair de ce bref incident avait pétrifié le couple.
    — Vous m’avez caché l’indisposition de dom André. Sans doute afin de m’épargner une inquiétude inutile. C’est délicat de votre part. Je comprends maintenant pourquoi vous êtes rentré si tard. Vous arriviez de l’hôpital bien sûr. Vous êtes pâle, Alvaro. Ce mal dont souffre le gouverneur serait-il contagieux ? Recevons nos hôtes. Nous parlerons de tout cela plus tard, voulez-vous ?
    Elle lui tourna le dos, retournant d’un demi-tour déterminé à ses devoirs de maîtresse de maison.
    — Bonsoir, dom João. La senhora de Telo ne vous accompagne pas ? Ces fièvres nous épuisent toutes. Lui ferez-vous mes amitiés ? À tout à l’heure, dom João. Cette demeure est la vôtre, vous le savez.

    Sur les deux heures après minuit, il fut clairement établi qu’Alvaro da Fonseca avait

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