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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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une maîtresse. Leurs derniers hôtes raccompagnés tout en sourires, ils s’étaient assis dans la véranda, d’un commun accord, sans se dire un mot. Ils étaient demi-étendus sur des chaises longues. La pièce était obscure car les lanternes vacillaient, à bout de souffle. Certaines s’étaient déjà éteintes en grésillant, dans une ultime bouffée de fumée âcre. Dans les salons, les servantes vaquaient à tout débarrasser et ils entendaient de loin les bruits domestiques éteints des après-fêtes.
    Margarida caressait distraitement de la main les accoudoirs en palissandre. Elle préférait ce bois chaleureux qui se laissait aimer, au noir glacial de l’ébène. Elle décida qu’elle détestait définitivement l’arrogance tarabiscotée des meubles chinois. Son regard tomba sur son mari qu’elle avait oublié. Il attendait qu’elle commence.
    — Alvaro. Que vous couchiez dans votre lit mes servantes et nos esclaves africaines fait partie des mœurs de Goa. C’est sordide mais je l’ai accepté comme un mal nécessaire. Que vous ayez une maîtresse quatre mois après notre mariage est une infamie. Pire, c’est vulgaire. Qui est cette femme ?
    — À quoi bon vous dire son nom ? Nous sommes amants depuis les premiers mois de mon arrivée à Goa. Votre belle-sœur l’avait appris et l’avait acceptée comme une amie.
    — Que Maria de Graça ait eu cette indulgence m’importe peu. Je plains tout au plus votre première épouse. Je veux savoir qui est cette femme. Je l’apprendrai de toute façon par mes servantes. Épargnez-moi l’humiliation supplémentaire de m’ouvrir à elles de mon infortune. Vous êtes décevant mais vous ne pouvez être à ce point médiocre.
    — Carmen da Rocha Marques.
    — La belle Carmen ! Bien sûr ! Riche, influente, veuve et courtisée. Le meilleur parti de Goa. Le soleil ne se couche pas dit-on sur les terres et les propriétés amassées avant de mourir par son notaire de mari. Pourquoi ne l’avez-vous pas épousée, vous son élu de cœur, au lieu de m’appeler en hâte, à peine veuve, toute affaire cessante ?
    — La mère de Carmen est une Bengalie. C’est une métisse.
    — Elle a l’élégance et l’intelligence des métisses. Je ne vais tout de même pas vous vanter ses charmes et ses mérites. Vous avez bon goût. Elle est reçue comme une amie par la meilleure société goanaise. Alors pourquoi ?
    — Les Fonseca servent la couronne depuis assez longtemps pour prétendre sinon à la vice-royauté des Indes, du moins aux fonctions de gouverneur. Je brigue le commandement d’Ormuz qui en est l’une des clés.
    — Vous ne manquez pas d’ambition, mon mari. Je vous en fais compliment.
    La plupart des femmes des grandes familles goanaises étant d’origines mélangées, une épouse de pur sang portugais était un atout supplémentaire quand plusieurs candidats étaient en lice pour des nominations aux fonctions représentatives.

    Ils en avaient assez dit l’un et l’autre. Margarida gérait dans une indifférence qui l’étonnait elle-même l’effondrement de sa nouvelle vie hors de chez elle et loin du Portugal. La pénombre cachait ses yeux humides, mais elle ne pleurait pas.
    — Il y a une autre raison.
    Elle sursauta.
    — Quoi encore ?
    — Je ne veux pas de mestiços dans ma lignée. Comprenez-vous cela ?
    Elle comprenait parfaitement.
    — C’est très noble, Alvaro. Vous êtes un parfait fidalgo goanais. Orgueilleux, ambitieux, épicurien et débauché. Carmen pour la volupté et les bâtards, et moi pour la pureté de la race et les réceptions. Je suppose que je dois considérer cela comme un honneur ?
    Elle se leva et vint se planter devant son mari.
    — Alvaro, l’étiquette goanaise veut que les femmes entrent en dévotions à Nossa Senhora da Serra en l’absence de leur seigneur et maître. Vous me l’avez rappelé récemment en m’annonçant votre départ. Je vous le dis tout net : je n’irai pas à la Serra. J’attendrai librement votre retour de Cochin. Si du moins vous êtes assez médiocre pour ne pas y mourir de malaria.
    Il se leva d’un bond.
    — Margarida ! Ce serait une provocation. Elle ferait scandale. Vous ruineriez mon... – il corrigea – notre crédit. J’ai d’ailleurs le pouvoir marital de vous contraindre à vous conformer aux usages. J’en userai de gré ou de force.
    — Contraignez les ardeurs de votre pouvoir marital, mon ami. Doux ! Auriez-vous oublié que

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