L'arbre de nuit
Elle releva la tête et chercha son regard.
— Je suis très seule, François. Je n’ai pas ma place dans le cercle mondain qui agite Goa nuit et jour. Du moins, je ne l’ai pas trouvée, ni dans ma propre maison ni au dehors. J’ai un peu honte d’étaler ainsi ma faiblesse mais j’ai besoin de me confier à quelqu’un. J’ai confiance en vous. En vous seul.
Son charme était bouleversant. Sous la senhora da Fonseca en tenue libertine perçait encore la passagère enfermée dans sa cape noire apparue sur le pont de Nossa Senhora do Monte do Carmo le jour de l’appareillage de Lisbonne.
La lune était montée jusqu’au milieu du ciel. Elle éclairait la cocoteraie d’une lumière blanche qui faisait luire les palmes comme des lamelles d’argent. Le plafond de nuages s’en allait vers l’arrière-pays. La nuit était douce. Il ferait beau et chaud sur Goa demain. Margarida se leva de table et tendit la main vers lui.
— Venez. Je veux vous montrer quelque chose.
— Me montrer quoi ?
— C’est une surprise.
Ils marchaient côte à côte sur l’allée qui descendait en majesté vers la lagune. Son sable était frais sous leurs pieds nus. Leurs hanches ou leurs bras se frôlaient par instants. Après avoir débattu en détresse de ce qu’il convenait de faire, François décida de lui prendre la main. Il espérait qu’elle ne se méprendrait pas sur ses intentions. Il redoutait de la fâcher alors qu’elle se confiait à lui. Elle lui laissa sa main et il se détendit. Ils firent quelques pas ainsi puis elle accentua la pression de ses doigts sur les siens. Il retenait son souffle, de peur de rompre le charme. Quelques respirations plus tard, une odeur suave chassa l’ylang-ylang et submergea leur environnement sensoriel. François ne sut identifier sa nature entêtante qui rappelait le jasmin. Elle se serra contre lui. Le geste était instinctif, sans arrière-pensée exploratoire mais leurs corps s’épousèrent et s’en trouvèrent bien, marchant en couple d’un même pas. Ils se rapprochaient d’un arbuste de la taille d’un olivier. Il embaumait jusqu’à l’obsession.
— Quel est donc cet arbre qui sent si bon ?
Margarida s’arrêta et lui prit aussi l’autre main.
« Quel est donc cet arbre qui sent si bon dès que le soleil se couche et jusqu’à ce qu’il se lève ? Je n’ai vu cette plante en nul autre lieu que l’Inde à Goa. »
Elle marqua un temps.
— On l’appelle ici parizataco. Vous souvenez-vous de la légende que vous nous avez si joliment racontée en mer ?
— La princesse amoureuse du soleil ?
— L’amante délaissée, morte et brûlée selon la coutume indienne ? C’est l’arbre de nuit, François. Né des cendres de la fille du prince Parizataco. Voyez ! Ses fleurs grand ouvertes sont dorées sous la lune. Ce soir, il n’a fleuri que pour vous. C’est mon cadeau d’anniversaire.
— Puisque ce jour nous est commun, disons qu’il a fleuri pour nous deux.
— Il a fleuri pour nous deux.
En réalité, la senteur de l’arbre de nuit était exacerbée par l’arôme d’un philtre composé à leur intention par la princesse Parizataco. Elle n’était pas une légende. Elle avait détourné d’eux le filet d’Aphrodite, séductrice radieuse et traîtresse qui prétendait chasser sur ses terres. Elle ne voulait laisser à personne le soin de charmer ce beau couple, parmi les rares mortels à savoir son histoire et à s’en être émus.
L’homme effleura les lèvres de la femme. Elle lui rendit son baiser et les pointes de ses seins touchèrent son torse. Comme dans les rêves qui l’avaient laissée pantelante à Mozambique et l’autre nuit à Goa, l’onde mystérieuse fit durcir sa poitrine. Elle écrasa son visage et son corps contre lui. Il l’enlaça.
Dès qu’ils avaient senti les fleurs étranges, ils avaient su qu’ils allaient faire l’amour. Ils avaient atteint à leur insu le degré subtil et merveilleux où bascule le badinage entre un homme et une femme rapprochés par le hasard. Leur attirance réciproque se cristallise en la constatation évidente de leur désir partagé et de leur décision commune d’y céder. Rien dans leur comportement ne laisse deviner qu’ils sont amants mais, dans l’instant, ils partagent la joie grave et sereine de leur consécration mutuelle. Ils ont déjà la sérénité des couples.
Ils s’effondrèrent, soudés l’un à l’autre, aussi lentement qu’un
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