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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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efforts il est vrai pour ne pas fixer ses seins sous la transparence de son vêtement, ni le reste de son corps, aussi exactement dessiné que celui des Indiennes déshabillées par la pluie. Elle savait parfaitement qu’elle le troublait mais elle ne le provoquait pas. Elle se savait belle. Pour elle et pour lui. Avait-elle déjà ressenti à ce point le plaisir de se sentir désirable, embellie par le regard d’un homme ? Elle ne s’en souvenait pas mais elle chassa la question de son esprit.
    — Nous avons ici coutume de nous habiller légèrement. Je m’y suis habituée. Les tisserands indiens font des prodiges pour nous y aider. Imaginez-vous la finesse de cette mousseline ? Vous me trouvez indécente ?
    — Oh non ! Enfin un peu.
    Elle rit. François était stupéfait. Les jolis yeux inquiets de la jeune femme qui l’avait ému à Lisbonne lors de l’appel des passagers éclairaient ce soir le visage d’une dame étrangère à sa structure sociale, échappant à ses références culturelles. Lui, François Costentin, assistant du maître cartographe Guillaume Levasseur, il se trouvait dans une maison somptueuse perdue au fond de la nuit, à plus d’une année de navigation de Dieppe. Il était seul à seul avec cette femme extraordinairement belle, radieuse, assez libre d’esprit maintenant et assez sûre d’elle et de lui pour se montrer dans son intimité.

    Son émotion passée, une sérénité profonde envahit François comme s’il était sous l’effet d’une drogue. Il avait devant lui l’éternité d’une nuit entière pour savourer la plénitude de ce tête à tête. Il n’imaginait aucun projet conquérant et ilsavait très bien que la femme qui le recevait ainsi ne songeait pas à le séduire malgré les apparences. Il raisonnait juste. Margarida s’était accordé le pouvoir de le rencontrer librement, ailleurs qu’entre leurs deux balcons. De le recevoir chez elle en ami en balayant les préventions sociales, avec en plus la satisfaction inoffensive de défier à distance un mari haïssable et inutilement jaloux. Elle le taquina.
    — Quel homme vous faites ! Je vous plais ? Oui. Cela se voit. Pas seulement dans vos yeux.
    Son réflexe pudique la fit éclater de rire.
    — Ne tentez pas de cacher votre émoi derrière votre chapeau et ayez plutôt la galanterie de m’en faire compliment.
    — Vous êtes éblouissante. Pardonnez-moi mon indiscrétion. Si je ne rêve pas, comment êtes-vous dans cette maison ? Je vous croyais enfermée selon les usages à la Serra.
    — Disons que mon mari et moi avons transigé. J’ai installé ici ma retraite. Elle est aussi sûre sinon plus que le couvent, mais c’est moi qui en dirige la règle.
    Elle jouait machinalement avec son collier.
    — Nous allons souper voulez-vous ? Avez-vous faim ? J’ignore ce que Satish nous a préparé. C’est froid mais c’est peut-être comestible. Mes domestiques sont partis au mariage d’une sœur cadette de Talika à Banastarim, de l’autre côté du fleuve. Je n’ai pas eu le cœur de leur refuser d’assister à cette fête.
    Elle le prit par le bras et l’entraîna sur la terrasse. Une table ronde et sa desserte y étaient dressées, drapées de nappes en dentelle blanche. Les lanternes de carepas de nacre, les cloches d’argent couvrant les plats, le service d’assiettes en porcelaine blanche à décors bleu, une grande aiguière à très long bec, le cristal et les couverts de vermeil étaient d’une finesse et d’un raffinement dont François connaissait l’existence par ouï-dire mais qu’il n’avait jamais imaginés. Il s’excusa de son vêtement mais elle le tranquillisa en lui révélant que même les fidalgos portaient chez eux des chemises très simples. Elle l’invita à se mettre pieds nus comme elle.

    Ils prirent plaisir à dîner sans cérémonie, comme des enfants jouant aux gens du monde. Elle, parce que cela l’amusait d’être sans domestiques, lui, parce qu’il s’initiait aux belles manières en espérant qu’elle ne s’en apercevait pas. Ils commentaient le paysage alentour, détaillaient les décors du service chinois ou analysaient minutieusement la saveur des mets, très attentifs à n’échanger que des idées superficielles, des mots de faible poids n’aggravant pas leur intimité. Quand ils eurent fini de goûter à tout, elle désigna un carafon de cristal et lui demanda de remplir deux verres de moscatel.
    — Je vous ai convié à

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