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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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retrouver seuls. Pour chérir et pour assumer chaque pulsation de cette nuit étrange mais aussi pour en décrypter les conséquences. Le destin avait tracé depuis longtemps le cours de leur vie sans leur laisser le choix de l’infléchir. Il venait de leur greffer un ferment de mémoire commune, les laissant libres d’en fairel’usage qu’ils voudraient, à condition que ce fût chacun séparément.

    — Nous reverrons-nous ?
    Il n’avait pas osé préciser : quand ?
    — Je ne sais pas. Peut-être.
    — Ne soyez pas gênée de me répondre non. Je sais bien que nous ne revivrons jamais cette nuit. J’ai pourtant quelque chose à vous remettre. Je reviendrai vous l’apporter quand vous jugerez le moment venu. J’en aurai pour un instant.
    — Un cadeau ?
    — Une surprise. C’est mon tour.
    Il remontait vers la quinta, à grands pas déterminés, balançant sa marche de ses deux bras. Ils s’étaient dit adieu brièvement, d’un baiser furtif qui précipitait leur rupture sans risquer de ranimer leurs braises. Elle l’appela et le rejoignit en courant, relevant légèrement des deux mains sa jupe longue qui l’embarrassait.
    — François ! Alvaro me bafoue chaque jour de façon ignoble. Malgré ma honte et ma rancune, je respecte mon mari. Je veux rester digne du nom que je porte parce que son frère d’abord et lui ensuite me l’ont offert. Je le respecte pour ne pas me perdre moi-même. Comprenez-vous cela ?
    Elle criait presque, en lui serrant les deux mains. Elle tremblait convulsivement contre lui, comme le jour du démâtage.
    — Je l’ai toujours su, senhora.
    Il porta ses mains à ses lèvres en se penchant vers elle.
    — Margarida, c’est pour cela aussi que je vous aime. Cela va être dur.
    — Oui. Très dur. Vous m’avez fait connaître le désir. Dans combien de jours aurai-je envie de vous à en crier ?
    L’horizon commençait à se dessiner en clair au-dessus de Bicholim. Elle s’arracha à lui et rejeta ses cheveux en arrière dans un geste de défi.
    — Partez vite maintenant. Que Dieu vous ait en garde.

    Le trajet jusqu’à Goa était l’affaire d’une petite heure de marche que François traversa comme un somnambule. Ilémergeait d’une nuit blanche passée, du crépuscule à l’aube, du côté obscur du miroir, là où commence l’espace surnaturel d’où, en principe, on ne revient pas.

    Le soleil était haut dans le ciel quand, rentrant de Banastarim, ses servantes eurent la surprise de trouver leur maîtresse endormie la tête dans les bras sous l’arbre étrange qui fleurissait la nuit. Ses fleurs couleur de thé jonchaient le sol alentour. Quelques pétales s’étaient posés sur ses cheveux dénoués. La senhora da Fonseca ressemblait à une sirène.

Dès le 15 octobre, le temps se remit à la pluie. L’intersaison ramena une alternance d’averses et de temps brouillé qui ralentit, à peine revigorée, la vie des Goanais. Ils étaient d’humeur bougonne, déçus d’être privés si rapidement du beau temps sec auquel ils venaient de se réhabituer. Le travail de François touchait à sa fin. Ils avaient décidé avec le maître pilote Gaspar Salanha qu’il consacrerait ses derniers travaux à construire cinq compas de mer destinés aux réserves du magasin, à partir des débris d’une dizaine d’instruments mal en point qu’on lui avait apportés en vrac. Il trouvait dans cette occupation minutieuse un dérivatif à un désarroi qui le rendait sombre et irritable.
    Asha, qu’il continuait à voir régulièrement, s’en était aperçue. Il lui avait caché sa nuit éblouissante dans une horta de la lagune mais elle avait rapidement compris qu’il dépérissait d’amour.
    — Tu as un gros chagrin, François. Je vois bien que tu es désespéré. Tu as donc une autre femme.
    Il l’avait rabrouée, prétextant qu’il était simplement fatigué et que tous les Européens étaient plus ou moins malades à Goa.
    — Ne me dis pas que j’ai tort. Si tu es dans un tel état, c’est parce qu’elle ne t’aime pas ou bien parce que vous ne pouvez pas vous aimer librement. Ton problème est que tu te consumes pour une senhora au-dessus de ton varna.
    Il était resté sombre, comme rabougri par sa clairvoyance.
    — François ! Ce n’est pas injurieux pour moi. Je suis triste mais pas en colère. Elle a de la chance, cette femme riche, de te rendre malade d’amour. J’espère qu’elle le sait et qu’elle apprécie son

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