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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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pouvoir. Moi, je ne serai jamais gravée dans ta vie. C’est normal. Je serais très étonnée d’être un problème pour toi mais si par miracle je dérangeais en quoi que ce soit tes projets, serait-il plus simple pour toi de me quitter ?
    Elle avait insisté.
    — Veux-tu que nous arrêtions de nous voir ? De toute façon, tu vas bientôt repartir en France. Alors, un peu plus tôt ou un peu plus tard, cela ne changera pas grand-chose. Tu partiras.
    Parce que la symétrie aurait été drôle en d’autres circonstances, il avait failli révéler à Asha que Margarida avait elle aussi soupiré à son sujet : Elle a de la chance de vous avoir rencontré . Méritait-il une telle confiance ? À ce moment, il s’était senti indécis, lâche plus exactement, responsable médiocre de désarrois inattendus dont il n’avait pas su maîtriser les prémisses et qu’il vivait très mal.
    Il avait agrippé le bras de la jeune Indienne, et lui avait ordonné de se taire, doucement mais avec une hargne contenue. Il lui avait appris d’une traite qu’il avait besoin d’elle à un point qu’elle ne pouvait imaginer. Qu’il ne repartirait jamais. Qu’il resterait avec elle à Goa, qu’il continuerait à travailler pour l’arsenal, qu’ils vivraient définitivement ensemble. Qu’ils se marieraient puisqu’elle était chrétienne et qu’il irait pêcher avec ses frères. Il l’avait serrée dans ses bras.
    Asha avait levé les yeux au ciel.
    — Sainte Vierge ! Monsieur est en crise. Tu dis n’importe quoi. Tu te mens à toi-même pour éviter de regarder la réalité en face. Et tu crois à tes propres mensonges. Tu es chaud. C’est vrai que tu es malade.

    Elle avait tort de mettre en doute ses déclarations. Aucun signe n’était venu de la quinta. Chaque soir, François sortait le rubis de son coffre dans lequel il le cachait au fond d’une babouche. Il le faisait jouer dans la lumière en le passant au petit doigt, le seul le long duquel l’anneau pouvait glisser. Au cours de ce geste rituel, il renouvelait à Zenóbia son serment de veiller sur sa nièce.
    Sans en prévenir Jean, ni Asha, ni Margarida, ni personne, il avait définitivement décidé de rester à Goa.

Dans la dernière semaine d’octobre, les pluies cessèrent complètement et la saison sèche s’installa vraiment. Le 3 novembre, la caraque Nossa Senhora da Piedade se présenta à la barre de l’Aiguade, et Nossa Senhora de Jesus le lendemain. L’hôpital fit à nouveau son plein de scorbutiques et l’on vit passer dans les rues des nouveaux venus décharnés, fagotés comme en métropole, les narines écarquillées de bonheur. Sur cinq navires de la flotte de dom Manoel de Meneses, un s’était jeté à la côte non loin du cap de Bonne Espérance. On était sans nouvelles des deux derniers. En admettant qu’ils arrivent à leur tour à bon port, il était douteux désormais que ces attardés puissent appareiller cette année pour Lisbonne. Le temps pressait à présent pour caréner et charger les navires avant l’établissement des vents de retour.

    Le samedi suivant, Antão leur fit porter sur les deux heures après midi par un catéchumène le message de le rejoindre aussitôt à la maison professe. Le provincial y recevait un voyageur d’exception, débarqué de la caraque Nossa Senhora de Jesus . Pedro Fernándes de Queirós venait de Madrid où il avait rencontré le roi. Ce pilote portugais natif d’Evora servait les Espagnols aux Terres Neuves. Il avait navigué sur la lignemythique des galions de Manille reliant d’une traite Acapulco aux Philippines. Il était l’un des rares navigateurs à avoir approché la Terre Australe dont il disait rentrer. Jean et François, n’ayant que deux rues à traverser, s’y rendirent aussitôt à grands pas derrière leur messager. Il les fit monter à l’étage et les introduisit dans la salle d’étude donnant sur le parvis du Bom Jesus.

    Le navigateur hispano-portugais devait avoir un peu plus d’une quarantaine d’années. Son vêtement noir soigné de fidalgo montrait qu’il était au-dessus des simples capitaines marchands. Il portait au cou une croix en jais suspendue à une chaîne en grains d’argent. Contrastant avec son allure noble, quelques lacunes de sa denture témoignaient d’une longue pratique du scorbut. Les mèches de ses cheveux rares et déjà grisonnants étaient en désordre sur son front, libérées d’un bonnet qu’il avait jeté sur

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