Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
Vom Netzwerk:
vite acquis l’horrible certitude que les naturels étaient anthropophages. Onze jours plus tard, nous étions pour la plupart empoisonnés par les poissons toxiques pêchés dans le lagon. Il était clair que ces sauvages très agressifsattendaient que nous soyons affaiblis pour fondre sur nous. J’ai donné avec douleur l’ordre d’abandonner la colonie.
    Queirós s’interrompit, le regard vide.
    — La tempête m’a séparé de Vaez de Torres. J’ai touché Acapulco le 23 novembre par la route des galions de Manille. J’ai pris passage quatre mois plus tard à Vera Cruz à bord d’un galion qui rejoignait la flotte de l’or à La Havane. Il ramenait des barres d’argent des mines de Zacatecas et des porcelaines de Chine arrivant de Manille. Nous avons franchi grâce à Dieu les bancs de sable du détroit de Floride et échappé aux ouragans, aux flibustiers et aux corsaires d’Élisabeth d’Angleterre.

    Le sillage des flottes de l’or vint se superposer à ceux de la Carreira da India. Les Portugais traitaient de haut les voyages de quelques mois aller et retour des Espagnols mais ils appréciaient en connaisseurs leurs cargaisons de métaux précieux et les dangers rencontrés sur leurs routes.
    — Voilà ! Je ne sais pas ce qu’est devenu Torres. C’est un remarquable marin. Il est sans doute rentré maintenant sain et sauf en Nouvelle-Espagne ou au Pérou.
    Pedro Fernándes conclut d’une voix douce et timide, comme s’il doutait de la Providence :
    — Croyez-vous, mon révérend père, que je trouverai à Goa des oreilles assez attentives pour me permettre de sauver la Nouvelle Jérusalem ?
    Le provincial repoussa son fauteuil pour s’adosser plus confortablement.
    — Mon fils, ton récit édifiant et ton énergie généreuse méritent indubitablement que le Royaume y prête attention. Après tout Felipe Troisième, dont tu sembles désabusé, ne saurait être entièrement fermé aux formidables perspectives que tu lui proposes sous l’inspiration du Saint-Esprit.
    Il réfléchit un instant en se caressant le menton.
    — L’intronisation du nouveau vice-roi est fixée au 3 décembre. Je ferai bien volontiers transmettre une demande d’audience à dom Lourenço de Tavora si tel est ton souhait.
    — Je suis infiniment sensible à l’intérêt que vous portez à ma découverte, mon révérend père. Merci mes amis, distribua-t-il à la ronde.
    — La route de Malacca est désormais dangereuse à cause des Hollandais, suggéra une voix derrière eux.
    — Ah ? Ces hérétiques vous importunent maintenant jusqu’ici ?
    Queirós s’était levé à demi et cherchait du regard au-dessus des têtes celui qui venait de parler. Son regard s’était rallumé. Le provincial qui gardait ses mains croisées sur la table confirma d’un ton neutre d’homme d’Église que la situation était alarmante. Des flottes de plus en plus nombreuses croisaient à leur aise dans le détroit. Peut-être était-il trop tard maintenant, après tant d’années perdues, pour retrouver les îles Salomon.
    — Je suis de taille à forcer le passage au nom du Christ si les luthériens qui n’ont rien à faire dans ces eaux voulaient me le contester.
    — Dieu entende son serviteur fougueux, Queirós ! La dimension évangélique de ton projet te vaudra sans réserve le soutien spirituel de nos congrégations. Le temporel nous échappe. Nous prierons ce soir pour le succès de ton projet et pour la Nouvelle Jérusalem.
    Il ajouta en se levant :
    — Nous prierons aussi pour Goa.

—  Vivat nostra Sancta Fides !
    —  Vivat ! répondit la foule en tombant à genoux.
    On avait annoncé dans toutes les paroisses qu’il n’y aurait pas de prédications ce dimanche 23 novembre dans l’île de Goa mais qu’une chaire serait érigée sur le campo de l’hôpital des lépreux, ainsi que l’estrade et les bûchers d’un autodafé. On avait vivement conseillé aux fidèles d’assister massivement à la grand-messe édifiante de l’Inquisition. Jean, François et Pyrard étaient convenus de se retrouver de bonne heure au coin nord du Leilão d’où ils avaient la vue à une centaine de pas sur le Sabaio, l’ancien palais de l’Âdil Khan. L’imposante bâtisse à plan carré était dévolue au Saint-Office. On racontait que les Cárceres en occupaient deux étages entiers, divisés en quelque deux cents cachots aussi serrées que les alvéoles d’un gâteau de cire d’abeilles.

    La

Weitere Kostenlose Bücher