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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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de notre capitaine général. Accablés par les fièvres et par le mal de bouche, sans réserves de vivres, nous avons continué à mourir de faim. La capture d’un rat déclenchait des bagarres au couteau. Nous sucions le cuir des garnitures des mâts et trompions nos estomacs par des bouillies de sciure de bois. Nous avons atteint Manille à bout de force. Les trois quarts de mes compagnons avaient été immergés en cours de route. Beaucoup d’autres sont morts dans les jours qui ont suivi notre arrivée au port.
    Le pilote laissa l’émotion retomber, puis compléta, le front dans les mains.
    — Ils sont morts d’indigestion.
    Le tintement d’un gobelet de cuivre rebondissant sur le sol fut ressenti comme une incongruité tandis que le maladroit devenu écarlate se précipitait pour le ramasser, le serrant contre sa poitrine comme pour le faire taire.
    — J’ai ramené le San Jerónimo à Acapulco le onzième de décembre 1596. Nous n’avions pas retrouvé les îles Salomon. Je ne pouvais pas rester sur cet échec. Je savais que nous brûlions et que le succès était à notre portée.
    Un murmure de compassion s’éleva. Quelques mots furent échangés, rapidement éteints sous les shhh ! indignés des auditeurs.
    — J’ai eu à mon tour beaucoup de mal à convaincre le roi. Je suis allé jusqu’à Rome, supplier l’ambassadeur d’Espagne d’obtenir pour moi une audience du Saint-Père. Je suis rentré à Madrid nanti de la bienveillante recommandation de Clément VIII que me fût confiée la mission de christianiser la Terre Australe.

    Christianiser la Terre Australe ! Cet homme de mer laïque avait la volonté de transporter tout seul le christianisme dans ce pays mystérieux. La terre encore inconnue, d’un accès aussi difficile, gardée par des naturels belliqueux, des volcans et des miasmes mortels était sans doute la plus extraordinaire des terres de mission à évangéliser. Colomb lui-même n’avait pas été animé par une telle volonté mystique. Les jeunes prêtres en oubliaient de respirer.
    — Et le roi t’a enfin entendu ?
    — Je suis parti de Callao avec trois cents hommes dont six franciscains un peu avant la Noël de 1605. Le 21 décembre.
    Il n’y avait même pas quatre ans !

    Queirós commandait le galion San Pedro y Paulo . Son vice-capitaine était Vaez de Torres à bord du San Pedrico et ils emmenaient une caravelle d’exploration, Los Tros Reyes Magos . Ils avaient traversé le Pacifique faisant route au rhumb légèrement au-dessous de l’ouest, contrariés par de mauvais vents. Ils avaient découvert ou aperçu plusieurs terres de faibledimension. En mars, les naturels d’une île dont il avait pris possession en la nommant Notre Dame du Bon Secours leur avaient appris que leur tradition orale parlait d’une terre immense dans le sud-ouest. Du plus loin de leur mémoire, personne n’était jamais allé vérifier cette légende.
    Le silence absolu laissait entrer le bruissement des palmes sur le parvis du Bom Jesus comme si l’on entendait frissonner les cocotiers de l’île nouvelle.
    — J’ai alors eu la révélation que je devais confier la flotte au commandement de Dieu et j’ai laissé nos navires suivre les vents selon sa Providence.
    Un murmure monta des religieux qui se prirent à témoin de cette fantastique aventure. Ces jeunes prêtres à peine sortis de l’adolescence se donnaient mutuellement des bourrades d’amitié dans le dos pour laisser éclater leur bonheur de l’instant. Quelle formidable journée ! On était loin des querelles entre les ordres et des procès des inquisiteurs. Rien que la terre des hommes et la volonté de Dieu.
    — Le Saint-Esprit a guidé nos navires pendant deux mois. Le premier de mai, un lundi, nous avons vu monter devant nous une terre magnifique. La Terre Australe ! Je l’ai baptisée Australie du Saint-Esprit. J’en ai pris possession jusqu’au pôle Sud.
    Il balaya l’air d’un geste ample qui projetait sa phrase jusqu’à l’Antarctique.
    — Le dimanche 14 mai, j’ai fondé la colonie de la Nouvelle Jérusalem. Au cours d’une messe d’action de grâce, j’ai conféré à tous mes hommes l’ordre des Chevaliers du Saint-Esprit. Nous nous sommes embrassés en versant des larmes d’allégresse.
    L’assemblée se leva d’un bond comme libérée de sa tension extrême, et applaudit en riant de joie. Le pilote la calma d’un aller et retour de la main.
    — Nous avons très

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