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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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l’archevêque déteste pareillement le gouverneur et le provincial des jésuites. Tous deux le lui rendent à parts égales.Tous les trois ensemble, ils sont d’accord pour dénoncer l’arrogance du premier inquisiteur, qui est lui-même, viens-tu de nous dire, en guerre ouverte contre l’auditeur général de justice.
    — C’est à peu près cela, Jean. Le Saint-Office est universellement haï. Pour le reste, chacun, jaloux de ses prérogatives, s’efforce de fouiner dans ce qui ne le regarde pas.

    On se dénonçait l’un l’autre au roi, à l’archevêque ou au Conseil suprême de l’Inquisition de Lisbonne. Les titulaires de charges subalternes se dénigraient entre eux et occupaient le plus clair de leur activité à saper le crédit de leurs confrères pour se mettre en valeur.
    — Tous se retiennent par le col et se piétineraient au besoin pour gagner quelque préséance.
    — Dans ces conditions, résuma Jean, le remplacement de Mendonça est une décision désastreuse. Je doute que Tavora ait le centième des vertus guerrières et morales de celui à qui il va succéder.
    — Plus exactement qu’il tarde à remplacer sous le prétexte de ses fatigues. Au lieu de se jeter au palais pour assumer sa charge de vice-roi au plus vite puisque le temps presse.
    — Assiégée au dehors et minée de l’intérieur, Goa court tranquillement à sa perte. C’est ça ?
    — Et le peuple attend avec gourmandise d’applaudir le théâtre d’ombres au cours duquel on intronisera un simulacre d’autorité royale.
    — Les fidalgos vont reprendre leur danse du ventre autour du nouveau maître.
    — Qui songe encore ici à servir le Portugal ?
    — Mendonça.
    — Oui. Mais le siège austère de Mendonça, l’un des rares grands bâtisseurs de l’Inde, sera bientôt enlevé de la salle des audiences. On y rénove les ors du trône d’un nouveau courtisan incapable. Les fidalgos exultent. À peine éloignée, l’ère de la prévarication et des intrigues va revenir.

    Un roulement de tambour annonça que le cortège s’ébranlait. La solennité funèbre de son rythme quaternaire lent – Rrrannn, Rrrannn, Rrrannn, Ra-ra-rrannn – annonçait l’issue tragique de cette procession tout à fait différente des cortèges consacrés d’habitude à louer Dieu. Celui-là révélait des turpitudes démoniaques et mettait en garde contre leurs tentations. Le bourdon de Sào Francisco de Assis se mit alors en branle. Il annonçait les événements exceptionnels et ses vibrations profondes semblaient provenir du sol comme un tremblement de terre. Les plus fieffés mécréants se mirent à craindre la justice de Dieu.

    L’armée des dominicains ouvrait la marche. Mains dans leurs larges manches, les moines blancs barrés de leurs scapulaires noirs avançaient en rangs compacts, affichant la tranquille assurance collective des humbles défenseurs de la foi contre l’hérésie galopante. Sous leurs coules, leurs yeux brillaient de leur privilège de serviteurs de l’Inquisition. Leur cohorte était plantée au centre d’une immense bannière brodée d’une croix nue d’un dépouillement ostentatoire.
    Pyrard se pencha vers Jean, parlant à toucher son oreille :
    — Vois-tu ces fous de Dieu ? Infatués de leur pouvoir d’affoler les esprits et de torturer les corps d’hommes et de femmes au nom de la Sainte Église. Absous d’avance de leurs crimes, regarde ces sodomites vicieux jouir de leur impunité laïque et religieuse. Dieu peut-il permettre autant d’immoralité en son nom ? Jésus serait-il mort sur la croix pour annoncer l’Inquisition ?
    Il était hors de lui. Jean haussa les épaules en signe d’impuissance.
    — Verrons-nous les inquisiteurs ?
    — Non. Les hiérarchies politique et religieuse ont été d’accord pour leur refuser le privilège de se faire porter en palanquin comme l’archevêque. Les mules leur semblent tout juste dignes du bas clergé et ils sont des cavaliers ridicules. Quant à piétiner en tête des moines, c’est tout simplement impensable. Je ne sais pas comment ils se déplacent, mais ilss’arrangent pour ne pas être vus. En tout cas, ils rejoindront directement la tribune de l’autodafé.

    Une croix levée annonçait le clergé derrière les rangs du Saint-Office qui remontaient maintenant la Rua Direita, promenant sur le revers de leur bannière le portrait de São Pedro Mártir tenant une épée et un rameau d’olivier sous

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