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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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procession de l’autodafé allait partir de là. Autour d’eux, l’assistance était de condition modeste. On voyait peu de femmes, que ces manifestations indisposaient, et quelques très rares parasols élégants. Évitant de se commettre avec le peuple, les fidalgos et leurs épouses se rendraient directement à cheval ou en palanquin à São Lázaro où il était de la plushaute importance d’être vu. Parlant à l’abri de leurs chapeaux qu’ils tenaient en écrans, les hommes agenouillés autour d’eux murmuraient de proche en proche que les fauteuils de l’archevêque et du gouverneur resteraient vides tout à l’heure sur le campo, pour marquer la désapprobation concertée des deux têtes religieuse et séculière du gouvernement bicéphale de Goa. Les deux premiers personnages de la vice-royauté refusaient d’assister une fois de plus en simples spectateurs à une manifestation d’intolérance pompeuse se substituant à leur pouvoir.

    François Pyrard se caressait le menton et le haut du cou, les yeux plissés.
    — On dit en effet que l’un réclame en vain que les autodafés se déroulent aux augustiniens et s’étrangle du contournement orgueilleux de son autorité épiscopale. L’autre s’inquiète des conséquences nuisibles de l’Inquisition sur le grand commerce qui repose d’abord sur la confiance des négociants. On n’attire pas les investisseurs en les jetant en prison et en confisquant leurs biens.
    — Tu as sûrement raison, mon cher Pyrard, mais j’ajoute que dom André déteste les crimes commis hors des nécessités de la guerre. Il nous l’a personnellement fait comprendre.
    François réagit aussitôt.
    — Tout à fait. L’Inquisition ne va pas condamner seulement des hérétiques caractérisés. Et le gouverneur en sera révulsé. C’est pour cela qu’il éludera l’autodafé. Pour ne pas sembler approuver ses crimes.
    Pyrard, dont la blessure dorsale générait quelques douleurs résiduelles, se releva pour s’étirer, les mains prenant appui sur ses hanches. Il haussa le ton.
    — On dit aussi que l’auditeur général aux causes criminelles civiles ne supporte plus d’avoir à exécuter sans appel les sentences d’un tribunal religieux dont il ne reconnaît pas la compétence. La justice des hommes sur la Terre relève partout du droit séculier.
    L’entourage s’effondra, têtes baissées sous des chapeaux anonymes. Une main derrière eux le tira par la ceinture.
    — Vas-tu finir, l’étranger ? Veux-tu te faire jeter dans le cortège des condamnés, et nous avec ? À Goa, on critique à voix basse et on maudit en silence.
    Pyrard s’agenouilla à nouveau en grimaçant, choisissant avec précaution sa posture.
    — Pardonnez-moi, amis. Le Seigneur ne m’a pas conçu pour de longues génuflexions. Si vous ne craignez pas les flammes du bûcher rien qu’à m’entendre, écoutez cette rumeur. La Relação, le tribunal civil, prépare délibérément un esclandre ce soir. Un magistrat m’a glissé en confidence que l’auditeur général ne se lèvera pas à l’issue de l’autodafé pour aller prendre selon la coutume les ordonnances de condamnation à mort des mains du premier inquisiteur.
    — Comment sais-tu tout cela, toi l’étranger ? Tu es bien trop informé pour être un honnête spectateur.
    L’homme qui le tenait à la ceinture le relâcha brusquement et s’écarta de lui, se levant à moitié, dos voûté et levant les mains à hauteur du visage, bras écartés, comme pour contenir l’intrus à distance.
    — Attention, vous tous ! Je renifle à plein nez un provocateur de l’Inquisition qui prêche le faux pour débusquer les mal pensants.
    Pyrard éclata de rire.
    — Tranquillisez-vous, mes bons amis. Je vais, je viens. J’écoute, je flaire. Je questionne. Je prends un air niais ou bien admiratif. En flagornant, j’obtiendrais de tous les prétentieux la clé de leur coffre et la garde de leur femme.
    François vola au secours de Pyrard.
    — Écoutez. Nous sommes des ressortissants français amis du gouverneur. Nous faisons tous les trois profession de voyageurs et je peux vous assurer que nous craignons autant que vous l’Inquisition. Plus que vous en réalité, en raison de notre situation d’étrangers. Dom André qui nous honore de sa confiance nous a lui-même mis en garde.
    Jean ne releva pas l’incident. Il réfléchissait.
    — Si je récapitule ce que j’ai appris depuis mon arrivée à Goa,

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