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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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nombre de léchages avant eux, pour s’occuper l’esprit. En s’y reprenant à plusieurs fois ils étaient arrivés à un total de vingt-neuf mille deux cents traces infinitésimales superposées.

    Leur geôle était grande de sept pas sur huit, comptés sur un plancher qui sonnait dur sous le talon, à travers une odeur épaisse de latrines – ammoniac acide et merde plutôt douce – qui les avait suffoqués lors de leur incarcération. Endurcis aux odeurs fortes à l’école des caraques de la Carreira, ils s’y étaient habitués au point d’être maintenant presque incommodés par l’odeur exotique entretenue dans tout le bâtiment par la combustion continue de baguettes de santal. Ayant construit leur prison répugnante dans la cour intérieure deleur palais carcéral, les inquisiteurs consumaient plus d’encens indien que les idolâtres.
    Ils furent extraits de leur cellule alors que leur horloge alimentaire avait compté huit écuelles. Ils devaient être le lundi 8 décembre. On les poussa dans un corridor dont les fenêtres grillées donnaient sur des cours étroites séparant quatre rangées de geôles sur deux étages. Ces tranchées faisaient de leur mieux pour distribuer un peu d’air et de jour aux prisonniers. Clignant leurs paupières sous la brusque lumière, ils eurent alors la confirmation de la mise en scène délibérément dramatique de leur emprisonnement au cœur des ténèbres.

    Les gardes les dirigèrent à coups de manches de piques, à main droite, dans une pièce intérieure dont l’obscurité devait être propice à la contrition puisque quatre confessionnaux ventrus encombraient ses encoignures. Traversant un oratoire mitoyen, ils pénétrèrent dans une pièce aussi vaste que la salle d’audience du vice-roi, tapissée de taffetas en larges bandes jaunes et bleues. Ce bariolage baroque sembla d’assez mauvais goût à François. Jean lui glissa que les gardes suisses du Vatican portaient les mêmes couleurs. Leur échange énerva le chef de leur escorte qui leur enjoignit à voix basse de faire silence en roulant des yeux à faire fuir un démon. La salle des actes du Saint-Office de Goa était réputée être le plus terrible tribunal de toute la chrétienté. Elle était occupée à moitié par une estrade portant une longue table couverte d’un drap vert sombre, accostée de deux fauteuils à hauts dossiers. Quelques chaises, des tabourets et des sièges pliants complétaient un ameublement hiérarchisé dont la jouissance lors des procès devait faire l’objet de codes minutieux, d’intrigues et de jalousies féroces. Un crucifix planté du sol au plafond en était le seul ornement. Les cabinets des inquisiteurs s’ouvraient à l’autre bout. Ils y accédèrent à travers un secrétariat où un dominicain qu’une tonsure ceignait d’une auréole de cheveux roux recueillit leurs identités d’un air dégoûté. Il les rendit aux manches de piques pour une dernière invitation impérative à avancer.

    — Comment peux-tu soutenir sans insulter le tribunal que tu serais à la fois un familier du roi de France et un bon catholique ?
    Le poing de l’inquisiteur s’abattit sur la table.
    — La reine de Navarre a élevé ton ami Henri dans le protestantisme le plus sectaire. Sa conversion d’opportunité à notre religion fut tellement prononcée du bout des lèvres qu’il s’est pris à deux fois pour abjurer le calvinisme. Quant à l’édit de Nantes reconnaissant aux huguenots la liberté de conscience, l’égalité civique et une centaine de villes de sûreté, ce n’était rien moins qu’une provocation.
    — Je sers notre roi Henri, votre Grâce. Il m’honore en retour de sa confiance mais je ne suis pas son confesseur. Nous avons d’ailleurs mon ami et moi des relations amicales parmi les religieux de Goa. Ils peuvent témoigner de notre bonne foi.
    — Ton roi hait les Habsbourg. Il s’est acoquiné avec les luthériens allemands et il se prépare à entrer en campagne contre l’Espagne. Vois-tu, le Saint-Office a les moyens d’être bien informé. C’est dommage pour toi. Puisque tu cites tes amis, vous fréquentez assidûment tous les deux le frère Antão de Guimarães, un jésuite parmi les plus frondeurs, les plus ouverts aux idées hérétiques. Nous avons émis un avis extrêmement défavorable à son envoi en mission en Chine.
    Il ajouta d’un ton agacé :
    — Mais les paulistes n’en font qu’à leur tête. C’est

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