L'arbre de nuit

pourtant Francisco Xavier qui supplia dom João Troisième d’envoyer la Sainte-Inquisition en Inde pour soutenir les conversions et l’intégration religieuse. Dieu reconnaîtra les siens.
    L’inquisiteur feuilletait son dossier.
    — Le 8 novembre dernier, vous avez participé à la maison professe des jésuites à une réunion au cours de laquelle ont été prononcées des paroles inconvenantes envers le roi d’Espagne. Le crime de lèse-majesté ne concerne pas le Saint-Office mais cela en dit long sur l’insubordination des paulistes. On a émis au cours de cette séance des idées infondées sur la géographie de la Terre. Je sais bien que la Compagnie de Jésusse complaît à des débats déviants sur l’ordre du monde. Ils échappent à notre vigilance mais pas les laïcs comme toi imprégnés de ces idées aberrantes.
    — Pedro Fernándes de Queirós est sans doute de très loin le découvreur le plus attaché au rayonnement de l’Église. Sa quête mystique d’un royaume catholique en Terre Australe à travers des pays sauvages nous a tiré des larmes.
    — Des larmes ?
    Le prêtre leva la tête. Il feignait la douleur. Son épaisse barbe et ses cheveux grisonnants en désordre lui faisaient un surprenant visage de Gorgone au regard triste. Il souleva des deux mains la masse de papiers posée devant lui et la laissa retomber.
    — Et tout ça ? Je détiens une douzaine de chefs d’accusation majeurs contre vous deux. Chacun peut vous envoyer aux galères. Je passe sur les présomptions d’espionnage qui ne relèvent pas non plus du Saint-Office. As-tu conscience de ta situation ? Tu loges rue du Crucifix chez Bhaskar Arunachalam. Il est notoire que tu es en excellents termes avec lui. Alors, que complotez-vous toi et ce brahmane ? Sa caste de forcenés harcèle continûment les nouveaux chrétiens pour les faire renoncer à leur conversion et retomber dans l’idolâtrie.
    — Nous sommes médecins lui et moi. Notre passion commune pour la chirurgie et pour l’herboristerie nous a naturellement rapprochés. Nous discutons nos approches symétriques de la botanique indienne selon Garcia da Orta.
    — Tu lis Garcia da Orta ! Bien sur ! Un juif soi-disant converti vite retourné à Israël, dont la famille, les livres et la dépouille ont encombré plusieurs autodafés. Finalement, tu serais bon catholique mais tu t’entends à merveille avec les luthériens, les juifs et les idolâtres. Tu es œcuménique, c’est ça ?
    — Je suis tolérant. Dans mon pays, c’est considéré comme une qualité.
    L’inquisiteur bondit de son fauteuil, les deux poings plantés sur la table.
    — Quoi ? Tolérant ! Tu me provoques ? Tolérant ! Hérétique, oui !
    Il se rassit sans quitter Jean du regard puis recommença à feuilleter son dossier.
    — Et toi, François Costentin, tu forniques avec une Indienne parce que tu es tolérant toi aussi ?
    — Asha est une bonne catholique.
    — Une nouvelle chrétienne qui se vautre dans la luxure. Ses parents, sa famille, tous des idolâtres irréductibles.
    Son index pointé alla alternativement de l’un à l’autre.
    — Vous deux ? On ne vous a pratiquement jamais vus à la messe ni l’un ni l’autre. Ni à plus forte raison dans un confessionnal ni à la table de communion. Ni à l’autodafé au Campo de São Lázaro. Si vous n’êtes pas des luthériens ni des juifs, vous êtes quoi ? Des athées !
    — Disons des chrétiens légers, votre Grâce. Ce péché véniel relève-t-il vraiment du Saint-Office ?
    — Prends garde, l’érudit. Ton impertinence est aux limites de l’outrage. On t’a entendu critiquer le tribunal de la Sainte Inquisition au passage du cortège de l’autodafé. J’ai ça aussi dans ce procès-verbal.
    Il rechercha la pièce dans la liasse et la brandit.
    — Voilà. Je lis : « La justice des hommes sur la Terre relève partout du droit séculier. » Il est écrit là que tu l’as dit ou approuvé. Ça veut dire quoi ? Irais-tu jusqu’à récuser la légitimité du Saint-Office ?
    Et sans laisser à Jean le temps de répondre.
    — Vous avez tous les deux une chance exceptionnelle. La dernière caraque arrivée de Lisbonne a apporté un édit du roi frappant d’expulsion les étrangers hollandais, anglais et français. Vous êtes tous soupçonnés d’espionnage et de complot contre les intérêts de l’Espagne. Dom Rui vient d’ordonner l’exécution immédiate de cet édit. Vous