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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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bien que mal une autre nef au mât branlant ? Elle prend déjà l’eau de toutes les coutures de son bordé avant même d’avoir levé l’ancre. Écoute ! Encombré de ton compagnon qui jargonne, tu as peu de chances de débarquer jamais de cette nef de fous. Sinon dans un linceul jeté par-dessus bord aux tubaroes.
    Le passeur poussa un soupir en tendant sa main droite paume ouverte vers le ciel.
    — Alors, tu n’es plus à cinquante réis près, ni tes héritiers si du moins tu es assez fortuné pour en avoir malgré ton modeste bagage.
    Jean lui compta les cinquante réis dans la main.
    — C’est vraiment dommage, le Français. Tu m’aurais remercié plus tard à genoux de t’avoir dissuadé de t’embarquer pour l’enfer faute d’avoir bien compris les termes du contrat.
    Tout en parlant, il fourgonnait dans le désordre de l’embarcation encombrée de ses voiles et de son gréement pour dégager un espace à l’arrière et disposer les deux avirons.
    — En tout cas, tu peux constater que je ne racole pas les clients. C’est toi qui vois, fidalgo. Je suis à tes ordres. Pour le retour, je ne prends aucun rendez-vous.

    La foule, brusquement excitée, devint bruyante comme si une porte avait cédé sous une émeute. Sur tous les navires de la flotte, les grand-vergues montaient lentement vers le ciel, ensemble, hissées par des cabestans virés chacun par plus de cent marins entraînés par les sifflets des maîtres. Leurs stridulations s’entendaient de la plage.
    — Tu vois ! Ils appareillent !
    Le passeur eut un gros rire.
    — Il est émotif, ton ami. Il en verra d’autres. Ils préparent seulement l’appareillage. Le plus pénible effort à accomplir pour mettre la flotte en état de lever l’ancre, c’est de hisser les grand-vergues et leurs immenses voiles. Il faut encore attendre trois ou quatre heures que le jusant porte vers les Cachopos tout en laissant assez d’eau sous les quilles.
    — Les Cachopos ?
    — La barre de l’embouchure du Tage laisse deux passages. Un seul est praticable par les caraques. Ce banc est redoutable. Il va, il vient au gré des courants et des marées. Bien des bateaux y ont laissé leurs carcasses avant même de sortir du Tage et d’atteindre l’Atlantique. Il y a pire ! D’autres y font naufrage en revenant quand ils se croyaient sauvés de tant de périls.
    Tout en bougeant la barque à grands coups de bras pour la faire pivoter et la pousser dans l’eau, il leur raconta par bribes comment, moins de deux ans plus tôt, Nossa Senhora de Salvação et Nossa Senhora dos Martyres s’étaient perduesau retour des Indes sous les canons de la forteresse de São Julião da Barra. C’était au milieu de septembre. Une mauvaise combinaison d’un vent de sud-ouest et du courant de marée. Elles avaient vomi leur poivre sur cinq lieues comme une femelle d’esturgeon pond ses œufs. On était accouru à la pêche miraculeuse de toute l’Estrémadura mais les soldats veillaient le long du littoral.
    — Parmi les corps des malheureux venus périr au rendez-vous des Cachopos, on a retrouvé celui du père Francisco Rodrigues, procurateur des jésuites du Japon. Noyé à une portée de pistolet du Portugal après trois décennies de mission aux Indes.
    — Peut-être que Nossa Senhora a eu une inattention. On confie tant de navires à sa garde.
    Charon se redressa. Il hocha la tête sans remarquer la plaisanterie, tout à sa philosophie d’homme de mer.
    — Tu vois, le destin est le même pour tous les passagers d’un navire, qu’ils soient maître ou journalier. Le satin n’est pas un meilleur rempart que la bure contre la noyade. Quand ils nagent tout nus pour sauver leur carcasse, les plus puissants des maîtres envient les bras musclés de leurs domestiques.
    — S’ils savent nager, ce qui est peu probable. À ton avis, vaut-il mieux mourir à l’aller qu’au retour ?
    — C’est selon ce que tu préfères. Respirer la vie le plus longtemps possible, au risque de crever plus tard de mille morts à l’autre bout de la terre. Ou te noyer tout de suite, avant d’être miné par les fièvres et par les maux indescriptibles qui vont te pourrir le sang.
    — Tu es un sage, capitaine, quitter la vie en bonne santé est un privilège que le destin réserve seulement aux justes et aux héros. Du moins, je l’espère. On embarque ?

    Abandonnant derrière elle une rumeur de pleurs et de bénédictions percée de souhaits de bon

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