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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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des jupes des femmes et j’avais l’âge d’être un grumète à bord d’une caraque, quand notre bon roi Joào Troisième a obtenu de l’empereur de Chine, juste avant de mourir, le droit de fonder la Cité du Nom de Dieu en Chine.
    — Macau pour les Chinois. C’est plus simple.
    — Tu sais cela, le Français ? Mon père qui était un petit fonctionnaire avait rendu des services au contremaître d’une caraque de la flotte qui partait pour le Cathay. Il lui a proposé pour le remercier de m’embarquer à bord. Sa main flattait amicalement mes cheveux. J’étais ému et terrifié.
    Ses yeux étaient revenus vers Jean. Il se gratta la tête en repoussant son béret sur l’arrière de son front.
    — Tu réalises ? Le contremaître ! Le seigneur du gaillard d’avant d’une caraque des Indes. Même l’amiral n’ose pas se risquer dans son territoire sans solliciter son autorisation.
    Il hocha la tête avec une moue de gravité.
    — Il y a peu de vrais marins comme eux à bord de ces énormes coques dont les membrures sont aussi fragiles que des os de vieilles femmes sous les fards dont elles se barbouillent. Alors, l’amiral, le capitaine et tous les lieutenants mangent dans la main de ces professionnels. Même si la honte de leur ignorance et le dégoût de déroger à leur rang les font crever de rage de s’en remettre à des gens du peuple.
    Le passeur se farfouilla à nouveau le cuir chevelu d’avant en arrière, en dérangeant le bonnet plat qu’il remit en place d’un geste automatique.
    — Tu ne peux même pas réaliser ce que pouvait représenter la perspective d’aller en Chine il y a cinquante ans. Je pense que tu sais où sont tous ces pays toi, parce que tu as l’air très instruit. Moi, je sais juste, un demi-siècle après, que c’est aussi loin que la lune, quelque part de l’autre côté de la terre, sous nos pieds.
    Il tourna le torse vers le Tage en gardant son regard dans les yeux de Jean, et inclina son bras tendu vers le sol, semblant désigner de l’index un rat crevé échoué là par la marée.
    — C’est là-bas.
    Il remonta le bras à l’horizontale, pointant la rive de Cacilhas.
    — C’est infiniment plus loin que Sagres où je ne suis jamais allé non plus. Le sanctuaire de notre regretté dom Henrique qui a fait la grandeur du Portugal avant l’arrivée de l’usurpateur espagnol.
    Il cracha sur le côté en laissant retomber son bras dans un geste de lassitude. Jean glissa à François qui s’impatientait qu’il lui traduirait plus tard un discours dont il ne voulait rien perdre.
    — Pour revenir à mon histoire, pendant que je ronronnais, mon père a sifflé brusquement entre ses dents qu’il ne voulait pas que son fils serve de chèvre, ni à lui ni à personne de l’équipage. Le contremaître est devenu écarlate, a retiré brusquement sa main de ma tête et a tourné les talons en jurant. Je ne savais pas ni ce qu’était la Chine ni à quoi pouvaient servir les chèvres à bord d’une caraque des Indes, encore que les galopins de ma bande m’aient suggéré plustard des explications viriles. J’ai surtout compris que mon père ne me laisserait jamais partir.

    Non loin d’eux, une altercation éclata sur une barque qui s’éloignait. Un passager se débattait en hurlant. Ils le virent sauter à l’eau. Immergé jusqu’à la poitrine, il repoussa avec hargne les mains qui tentaient de le retenir et marcha péniblement vers la plage, les bras en l’air. Dès qu’il eut atteint le rivage, il se jeta à genoux et embrassa fougueusement le sable dont il s’enfourna une poignée dans la bouche. La confusion régnait à bord de l’embarcation vers laquelle il se retourna en brandissant le poing et en criant quelque chose qu’ils ne comprirent pas. L’homme se prit la tête dans les mains et s’éloigna comme un somnambule, en titubant.
    — La raison lui est revenue juste à temps, commenta le passeur qui reprit son monologue en se frottant lentement les mains. Plus tard, quand j’ai eu l’âge de décider tout seul de ma vie, une maudite échelle pourrie d’où je décrochais des figues m’a rendu à moitié infirme et tout entier inapte à servir à bord d’un navire de la ligne des Indes.
    — Le regretterais-tu, toi qui nous traites de fous parce que nous voulons partir ?
    — Je pleure ce voyage jour après jour, nuit après nuit. Je serais allé au Cathay. Une princesse chinoise mince comme une anguille, dont la

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