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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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bon ? Et où les rangerons-nous ? Toi qui sais tout, qu’attends-tu les bras croisés pour te mettre en quête de notre logement ? Un trait de lumière divine ?
    — Un logis sous le gaillard m’a été promis de mauvaise grâce à la Casa, sur ordre du vice-roi, eu égard à nos fonctions officielles. Son médecin devra être prêt à intervenir jour et nuit. En principe, cet appartement nous espère.
    — En principe ! Nous sommes à vue de nez un bon millier de candidats à un gîte. Nous nous y prenons beaucoup trop tard.
    Sa récente expérience du Maghreb permettait à Jean d’attendre avec une patience de vieux routier que les choses urgentes se décantent. À l’aune de la vie quotidienne à Dieppe où tout était réglé par les usages, François trouvait cette improvisation bien légère. Sa grogne piqua l’apothicaire qui cachait quelque inquiétude en réalité.
    — Regarde alentour, bon Dieu ! Tu peux comprendre qu’il serait maintenant inopportun de déranger le maître de ce navire pour une affaire d’aubergiste. Il prépare notre appareillage pour l’autre bout du monde. Du calme, le Dieppois !
    François restait bougon.
    — Je n’envisage pas vraiment de coucher une demi-année en plein air comme un sauvage ou un chemineau.
    — Tu as encore le temps de débarquer. Une fois pour toutes, nous trouverons où étendre notre paillasse dès que nous serons en mer. Fiche-moi la paix à la fin.

    Vexé, François s’éloigna en direction de l’écoutille qui découpait un rectangle béant au centre du tillac. Elle donnait accès à des degrés rustiques entre escalier et échelle de meunier disparaissant de pont en pont dans les profondeurs de la caraque. Agrippé à la filière tendue entre des chandeliers de fer forgé, il se pencha pour scruter le cratère dans lequel vivait déjà une population active. Il revint vers Jean après quelques minutes d’investigations.
    — D’accord !
    — Quoi encore ?
    — On attend tranquillement. On s’agite beaucoup là-dessous à ce que je viens de voir mais le ventre de cet immense navire est encore vide de sa raison d’être, la cargaison de retour. Tout juste transportons-nous j’imagine un lest de quelquescoffres de fer bourrés de réis, de portugais et de cruzados gardés par des soldats qui n’en croient pas leurs yeux. Il ne peut donc manquer de recoins tranquilles, au profond desquels chacun pourra ignorer les saisons, les latitudes, les courants d’air et la foule.
    — Tu es complètement dans l’erreur. Quand j’ai pris mes consignes de santé à la Casa, on m’a d’abord mis en garde, solennellement, avant tout, contre l’odeur.
    — L’odeur ? Une odeur d’étable en effet. Ce n’est pas un inconvénient insupportable. Sauf pour un Parisien à la rigueur.
    — Ne fanfaronne pas. Rien n’est drôle à bord d’une nef des Indes. Il s’agit d’une odeur létale. Il paraît qu’à fond de cale dans quelques semaines, un homme sain ne résistera pas une heure au puissant remugle nourri dans ce bas-ventre.
    Dans ce cloaque qui sentait déjà mauvais avant de partir allaient se concentrer les émanations de leur misère ambulante. Les fanaux s’y éteindraient sans le moindre vent. Il était prouvé que les humeurs malignes tapies dans les fonds des navires entretenaient les fièvres, le mal de jambe et le mal de bouche qui semblaient liés à la même cause marine, mais nul ne savait laquelle. On ferait au mieux pour aérer car on savait que l’aération est en mer une thérapie inestimable pour le moral et pour la santé, et surtout que les exhalaisons nauséabondes étaient la cause des maladies nautiques. Sous la surveillance étroite du sergent d’armes, on brûlerait chaque jour dans l’entrepont des rameaux de laurier, de thym et de bois de santal. L’odeur générique mêlée de poix, de soufre et de goudron du gréement et des cordages de rechange serait plutôt ressentie comme un parfum, voire comme un principe de salubrité parmi les humeurs mortifères.
    Jean saisit l’épaule de François dans un geste familier.
    — Nous ne tarderons pas à en juger par nous-mêmes, mais tout ira bien pour nous deux j’en suis sûr, puisque je suis garant de ta santé et toi de ma navigation.

Deux mains gantées de gris parurent au ras du pont. Elles précédaient un chapeau noir, suivi aussitôt d’un visage souligné d’une barbiche rousse, posé sur une collerette plissée comme la tête

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