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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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peau de soie aurait senti le musc et des odeurs encore plus suaves dont tu n’as même pas idée m’aurait fait un homme. Je serais rentré à Lisbonne hâlé, grandi et vêtu de satin. Et je serais reparti m’établir aux Moluques. Rien qu’à prononcer le nom de cet archipel, on sent le miel et la cannelle sous la langue. On dit que l’air y est tellement parfumé de noix muscade et de girofle qu’on le respire avec précaution pour ne pas le gâter.
    Il gonfla les narines en fermant les yeux, puis ricana grassement, rendossant brusquement ses hardes de marinier claudicant comme pour se faire pardonner l’indécente richesse de ses rêves.
    — Mon petit-fils n’ira pas lui non plus servir de chèvre à tous les fornicateurs moines ou soldats de ces bateaux du diable.
    Il avait incliné la tête vers le gamin qui se tenait à la proue et regardait intensément la flotte en fronçant les sourcils sous le soleil, bouche ouverte, totalement absorbé. Condamné à mal vivre sa vie dans sa peau familiale de passeur de Restelo, frustré comme son grand-père de ses tentations d’aventures et de princesses parfumées.

    — Chaque année, lors de l’appareillage de la flotte des Indes, je transporte de quelques coups de rames ceux qui partent à ma place. Des moines et des évêques, des officiers et des soldats, des greffiers. Et puis des artisans maçons ou charpentiers plus utiles à la société.
    — Tous sont des passagers légitimes, chacun à leur place.
    — Si tu le dis. J’ai embarqué des vrais parasites aussi. Des escrocs, des poètes, des chercheurs de fortune. Des filles, des veuves, des orphelines parties voir là-bas si la vie est meilleure et les membres des hommes aussi fermes, ce dont je doute eu égard à la moiteur des tropiques. Et beaucoup de fidalgos le nez en l’air, comme toi. Tu n’es même pas portugais ! Comme si nous manquions d’aliénés à Lisbonne ! Des milliers de fous qui vont pourrir là-bas et faire un bon terreau pour les fleurs des cimetières.
    Après un rapide coup d’œil circulaire, ramassant instinctivement sa tête dans les épaules, l’homme noir baissa le ton.
    — Le roi attribue les flottes et les caraques pour les récompenser à des amiraux et à des capitaines imbus de leurs titres et empêtrés d’honneurs, dont aucun n’a jamais mis le pied sur un bateau avant de recueillir les bénéfices de leur charge. Ils ne savent même pas du premier coup d’œil distinguer la poupe de la proue ni dans quel sens elles vont partir. Elles auraient pourtant bien besoin de chefs de mer expérimentés ces caraques dont nous tirons gloire.
    On brocardait en effet les capitaines, aussi bien dans les tavernes irrespectueuses d’Alfama que dans les salons médisants et jaloux des palais du Bairro Alto. Un aphorisme populaire affirmait qu’ils suivaient le sillage de l’amiral dont le fanal les guidait jusqu’aux Indes.
    — Comment trouverait-on sur les cent cinquante lieues qui séparent Lagos de Braga, assez de bons capitaines pour armer les flottes de notre empire ? Nous sommes coincés entre l’Atlantique qui est notre jardin, et l’Espagne qui est notre abomination. Dire que les cortes ont acclamé un Espagnol comme notre roi !
    Jean s’écarta légèrement, mais tout à sa diatribe le marinier oublia de cracher sur le roi d’Espagne.
    — Je ne dis pas cela pour t’inquiéter, fidalgo, puisque justement tu seras passager de la nau amirale. Tout vice-roi qu’il est, c’est le pilote et lui seul qui saura lui dire où ils sont sur la mer vide, et c’est lui qui ordonnera la direction à prendre. Peut-être même qu’il fera semblant de savoir, le pilote, mais mieux vaudra que les autres coques de cette flotte vaniteuse et empanachée suivent son fanal comme l’étoile de Bethléem. Moi, je te répète que c’est Dieu qui vous mènera aux Indes et qui vous en ramènera éventuellement. Qu’il t’accorde dans sa bonté un pilote-major capable de te conduire à Goa, fidalgo. Et bonne chance !
    Il fit mine de partir mais il revint après trois claudications majestueuses.
    — Cela dit, persistes-tu vraiment à vouloir que je vous transporte vers votre perte, toi et ton compagnon de malheur avec ma barcasse de pêcheur de poulpes comme tu dis ?
    — Maintenant, nous perdons du temps. Vas-tu te décider à nous conduire à bord de la caraque amirale ?
    — Tu veux parler de cette grande coque calfatée à la hâte pour remplacer tant

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