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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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couraient en tous sens, s’observant l’un l’autre pour tenter de faire de même. Un adolescent, coiffé comme une coulemelle d’un chapeau incongru, insigneostensible d’une certaine ancienneté, gardait à l’œil le géant barbu, leur traduisant ses injonctions en les faisant traîner derrière eux des cordages qu’ils élongeaient, tournaient à des cabillots ou lovaient à plat pont pour mettre en ordre le tillac.

    Se redressant, François tâta du pied le pont qui sonna ferme. Il fit par réflexe de marin l’inventaire des innombrables manœuvres de chanvre qui permettraient de hisser, de brasser, de carguer, de larguer, de border chaque voile séparément pour la faire servir au mieux. Les deux Français traînant leur balluchon s’agglutinèrent à la colonie, s’installant dans une encoignure. Ils apprirent de leurs voisins que le personnage tonitruant était le gardien. Ayant tout pouvoir sur les grumètes, il était titulaire du tillac qu’il ne quitterait pas de tout le voyage. Pas plus que le maître ni le contremaître ne s’absenteraient un seul instant de leurs territoires respectifs des gaillards de poupe et de proue, sinon pour assister aux conseils. Autour d’eux quelques centaines d’individus encore anonymes attendaient l’appel général pour devenir des passagers. Les mains crispées sur leurs affaires, ils étaient écrasés par les dimensions formidables du navire. Évitant d’attirer l’attention et s’efforçant de ne gêner personne, ils s’étaient massés le plus loin possible, le premier rang forçant du dos sur ceux derrière. Leur foule silencieuse et ratatinée était de teinte neutre. Elle était relevée de place en place par les habits noirs, bruns ou blancs des jésuites, augustiniens, franciscains et dominicains embarqués en grand nombre. Plus hardis parce que sûrs de servir Dieu là où ils allaient, ils n’avaient aucun doute en ce moment sur la légitimité de leur présence.

    On leur désigna du doigt le maître d’équipage sur le toit de la dunette à la poupe, reconnaissable au sifflet qu’il portait en sautoir attaché à une chaîne d’or, au centre d’un cercle pérorant de hauts personnages. Presque tous étaient habillés d’un vêtement à la fois austère et riche, consistant en un pourpoint noir structuré par des galons et des liserés dorés, fermé par une ligne de boutons, sous une courte cape assortie. Leurs jambes étaient couvertes par de larges culottes noiresou de couleurs vives à passepoil d’or, serrées sous le genou sur des bas noirs. Ils entouraient respectueusement un homme enfoncé dans un manteau de velours noir brodé d’or, assorti à un béret planté d’une glorieuse plume blanche. Jean reconnut dom João Forjaz Pereira. On devinait de loin dans cet olympe, aux gesticulations du maître, que le capitaine-major se faisait expliquer l’agitation de l’équipage.

    Ostensiblement à l’écart, accoudé au bastingage, un homme de grande taille drapé dans un damas violet et coiffé d’un bonnet rond de même couleur, un évêque apparemment, scrutait les quatre coins du ciel en prenant des poses théâtrales.
    — C’est l’archevêque de Goa là-bas à gauche ?
    Un matelot qui passait daigna répondre à l’interrogation stupide, les yeux au ciel et en tordant la bouche.
    — L’homme en violet est maître Joaquim Baptista Fernandes, le pilote-major de la flotte. Tu ferais bien de ne pas l’oublier, parce que le vice-roi lui-même n’aura pas le droit de s’opposer à ses décisions.
    Le matelot souleva son bonnet et s’éloigna en ricanant. François affecta une profonde stupéfaction.
    — Le pilote-major ! Notre fanal, si j’ai bien compris les médisants lisboètes, c’est donc ce monseigneur pontifiant.
    — Mon cher, il faut bien de toutes façons te fier à lui comme tout le monde. La primauté du pilote est un principe absolu à bord des navires de la ligne de l’Inde.
    — Et si c’est un mauvais pilote ?
    — Cela a conduit quelques caraques au naufrage, mais la plupart du temps, c’est une bonne option. Disons la moins mauvaise. Ça te va, monsieur l’apprenti cartographe ?
    François contemplait avec consternation le tillac encombré.
    — Comment retrouverons-nous jamais nos coffres dans cette fourmilière ? À supposer qu’ils y soient parvenus.
    — Ils ont sûrement été embarqués te dis-je. Mes drogues pour le vice-roi sont une priorité d’État.
    — Ah

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