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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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voyage, l’embarcation faisait rames vers l’escadre au mouillage. Les treize navires des Indes grandissaient à chaque coup de pelle. Fasciné, François n’avait jamais vu – ni aucun Dieppois – de tels mastodontes, barrés par leurs grand-vergues longues de plus devingt brasses. Outre l’énorme amirale de deux mille tonneaux, la flotte comprenait trois autres grosses caraques ou naus de voyage : Nossa Senhora da Oliveira , Salvação et Nossa Senhora da Ajuda . Une cinquième, la Palma, était aux ordres du vice-amiral dom Cristóvão de Noronha. Huit galions plus ordinaires, São Jerónimo , Nossa Senhora da Conceção , Espirito Santo , São Bartolomeu , São João Evangelista , Santo António , São Marcos et Bom Jesus complétaient la litanie. Trois grosses flûtes de charges emportant des vivres, de l’eau, des voiles et des espars de rechange accompagneraient la flotte jusqu’aux parages du Brésil.

La barque cogna violemment contre une manière de falaise d’un brun presque noir. Le garçon se précipita pour tourner prestement une amarre dans un anneau qui pendait au flanc du monstre, comme on attache un cheval au mur d’un relais de poste. Deux cordages flasques terminés par une pomme tressée tenaient lieu de rampe de part et d’autre d’un alignement de barreaux d’une sorte d’échelle plaquée sur la coque. Tandis qu’ils trébuchaient, malhabiles, pour enjamber les bancs, empêtrés dans les voiles, le passeur leur confirma qu’ils devaient bien monter à bord par ce chemin de chèvres.
    — Débarque tes passagers et dégage immédiatement ta foutue barcasse. J’attends les écrivains de la Casa !
    L’ordre tomba de tout en haut. L’origine du météore était un géant barbu, un avatar d’Adamastor sans doute, le titanesque gardien du cap des Tempêtes, avant que dom Manuel ne le rebaptise cap de Bonne Espérance. Jean se jeta le premier à l’assaut de la forteresse. François qui n’avait pas compris les termes exacts de l’injonction avait du moins saisi son sens général. Il suivit Jean d’instinct, cognant des deux genoux contre les blocs de bois, refermant les poings sur les tire-veilles, les phalanges aussitôt râpées jusqu’au sang par le bois rugueux, le nez collé contre une odeur épaisse et grasse decouroi fraîchement passé sur les œuvres vives. Le Dieppois qu’il était analysa instantanément les ingrédients de cette couverte protectrice contre les coquillages, les algues et les herbes marines : brai, soufre, suif et huile de poisson le rassurèrent par l’universalité de leur senteur.
    La barque déséquilibrée par son élan vint lui écraser les mollets par-derrière et le Tage le rattrapa par en dessous, le trempant jusqu’aux genoux. Il commença l’ascension main après main, à droite, à gauche, un pied rejoignant l’autre, se posant prudemment d’équerre sur chacun des degrés étroits. Il s’attendait au mieux à s’écraser la figure et s’arracher le nez si son pied venait à manquer, au pire à retomber à plat dos sur la barque. Et donc à se casser les reins comme sa grand-mère Adèle tuait sec les lapins d’un tranchant de main derrière les oreilles. Le Golgotha ! Non. Ce bateau était dédié à Notre Dame du Mont Carmel. C’était ça ! Il escaladait le Mont Carmel, les yeux louchant sur la coque à distance de nez, l’esprit congelé pour ne pas penser au vertige.

    François fut brusquement extrait de son ascension par deux bras qui le projetèrent sur le pont sur lequel il s’étala avec soulagement. Penché sur le plat-bord, Jean aidé d’un matelot hissait déjà à larges brassées leurs bagages ceinturés d’un filin que l’on avait jeté du bateau. Les yeux au ras du pont qui sentait la résine fraîche et le brai, il découvrait comme une grande place régnant entre les deux mâts principaux, dont un arbre énorme fait de troncs entés, assemblés par de fortes liures de cordages et des colliers de fer, se perdant derrière la grand-vergue pour réapparaître à une prodigieuse hauteur. À droite, à gauche, les gaillards très surélevés et pentus le surplombaient comme les tribunes d’un cirque. Sur la piste, Adamastor agitait autant de bras qu’un avatar de Vishnou, alternant les stridulations d’un sifflet et des ordres abscons criés à un essaim de matelots. Les grumètes, des enfants mêlés à eux, tout autant ahuris par le code du sifflet que par les hurlements de leur dresseur,

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