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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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à rats.
    La jeune femme fronça les sourcils et répliqua vivement.
    — Détrompez-vous, Zenóbia. Je suis bourrelée de terreur. Vous l’êtes probablement moins que moi et j’en suis heureuse. Je lutte pour être forte, comme mon père m’a appris à le faire à Arraiolos quand j’étais une enfant. Alors, c’est vrai que je n’ai pas remarqué l’inconfort de notre installation.
    Derrière la porte, leurs compagnes emplissaient la pièce de leur fébrilité en riant aux éclats.
    — Entendez comme elles sont heureuses. J’attends avec angoisse le moment où le départ des derniers visiteurs dressera la frontière invisible. Celle qui nous séparera d’un coup de ceux qui resteront sur la rive. Ce sera un instant terrible et nous serons du côté de l’inconnu. J’y pense le jour et j’en rêve la nuit.
    Zenóbia poussa un soupir.
    — Le désespoir peut commencer lors d’un adieu sur un perron, Margarida. J’en ai fait l’expérience.
    — Moi aussi, ma tante. Fernando est mort au bord de la route qui le ramenait chez nous à Evora et me voilà partie pour épouser un inconnu. Anxieuse et curieuse, triste et enthousiaste. Nous verrons bien. En tout cas, le pas est franchi.
    Elle se retourna et entrebâilla la porte.
    — Custodia, Jeronima, pouvons-nous entrer maintenant ?

    Pressés par les maîtres car l’heure de l’appareillage approchait, les trois investigateurs décidèrent après une heure et demie de palabres et un court conciliabule que les listesétaient arrêtées et que Dieu reconnaîtrait les siens. Comme tous les navires armés pour l’Inde, la caraque allait convoyer outre-mer un nombre incertain d’âmes. Leur credo était d’arriver dans un paradis tropical dont les turpitudes faisaient fulminer les prêtres. En cas de malheur, elles seraient dirigées selon leurs qualités personnelles vers le purgatoire ou le paradis de Dieu. Toutes étaient protégées en tout cas de l’enfer par l’absolution générale accordée avant le départ. Une vingtaine de malchanceux débusqués de leurs rêves furent poussés du pied vers l’échelle par les soldats. Eux au moins, étaient hors de danger.

    Le coup de canon fit courber d’instinct toutes les échines et rentrer les têtes dans les épaules. Un petit anneau de fumée bleue voleta quelques secondes comme une auréole en quête d’une tête assez sainte pour s’y poser, puis y renonça et s’évanouit pendant que la détonation roulait le long des berges.

Le signal de se tenir prêt à l’appareillage général monta en tête du grand mât, et le mât de misaine arbora celui de virer les ancres à pic. Ayant vérifié que les pavillons d’aperçu indiquaient partout que la flotte était prête, le conseil des principaux du navire venait de contresigner collectivement l’ordre de départ. Le pont fut aussitôt envahi par des matelots accourus de toute part. Le maître d’équipage avait dégringolé du toit de la dunette au balcon du gaillard et se tenait juste au-dessous du vice-roi et du capitaine, dom Afonso de Noronha, avancés de deux pas pour se rapprocher, sans se commettre, à portée de voix des forces vives de la caraque.
    Le signal de l’appareillage avait partout réveillé la flotte et généré une joyeuse animation sur les ponts et dans les mâtures qui se couvrirent d’oriflammes répétant les signaux du capitaine général. Les bourdons des églises se mirent à sonner au loin à toute volée, bientôt couverts par la cloche du fronteau du gaillard d’avant. Trompettes, hautbois, sacqueboutes, flûtes à bec, cornets à bouquin, cymbales et tambours concouraient à donner à un incident naturel de la vie des gens de mer sa dimension festive d’événement historique. Après s’être concerté pour la forme avec le capitaine-major et le capitaine,le maître saisit son sifflet, en tira une harmonieuse modulation et hurla brusquement, les mains en porte-voix :
    — Largue la misaine !
    L’ordre répercuté par le sifflet du contremaître fit s’activer les gabiers du mât de misaine à déferler la voile de l’avant. Elle s’abattit depuis sa vergue, révélant la croix de l’Ordre du Christ, laissée mollement battante appuyée sur le mât. Retenue par son ancre, soumise au reflux de la marée et au vent de nord-est, la caraque oscillait lentement d’un bord et de l’autre, la proue face à Lisbonne, la misaine recevant le vent à contre, tournant le dos à l’Atlantique comme si

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