L'arbre de nuit
d’Holopherne présentée par Judith aux habitants de Béthulie. Il se compléta par degrés d’un homme austère en drap noir, et s’enrichit d’un second, puis d’un troisième personnage de même facture. Les fonctionnaires de la maison de l’Inde venaient arrêter solennellement la liste des marins, des militaires, des fonctionnaires de la Casa da India et des passagers.
La vérification du rôle d’équipage et du contingent de soldats avait eu lieu la veille. Les fonctionnaires avaient émargé à la Casa avant d’embarquer. Restaient seulement à formaliser les anomalies constatées. L’appel devait surtout recenser les passagers ne relevant pas directement de la couronne. Leur inventaire révéla d’abord la présence d’une petite colonie de religieuses et d’une cinquantaine de femmes, certaines très jeunes. Depuis la fondation de l’empire, le métissage avait porté d’autant plus de fruits que les Indiennes étaient belles. Peu de nobles familles de reinols arrivés du royaume restaient strictement portugaises. Néanmoins, desîlots de castiços pur souche émergeaient de l’océan des mestiços de mère indienne. Il restait à Goa assez de notables soucieux de la pureté de leur sang pour que les orfaès del reino – les orphelines du royaume – soient assurées de trouver très vite un époux de bonne condition à l’issue de la traversée. Elles allaient voyager avec les femmes mariées, sous le contrôle des religieuses, enfermées dans un enclos du premier pont sur l’arrière de l’étable.
Dans l’entrepont, la vérification des manques et des surplus constatés lors de l’enregistrement du millier d’hommes d’équipage et de soldats traînait en longueur. Toutes les ruses s’ingéniaient à la rendre impossible, à embrouiller l’écrivain et à énerver le maître d’équipage et le sergent d’armes qui en débattaient contradictoirement. Certains matelots malencontreusement désignés par les recruteurs pour faire partie des contingents forcés des villages côtiers et fluviaux avaient acheté des permutants. D’autres avaient purement et simplement déserté. Au contraire, mal ajustés dans des identités et des uniformes que des soldats leur avaient cédés volontiers, des adolescents flottant dans des habits trop grands s’ingéniaient à cacher leur jeune âge. Le monde était vraiment mal fait. Débusqués par les soldats, des dizaines de clandestins tentaient plus simplement de s’affranchir des procédures d’embarquement en se coulant dans le désordre ambiant. Tous encouraient des sanctions très lourdes, ainsi que leurs familles et leurs garants.
Quelques prostituées avaient embarqué sous des habits d’honnêtes femmes du peuple. La froideur de leurs regards apprêtés contredisant leurs sourires câlins ne laissait aucun doute sur leur profession. Dénoncées comme succubes par les prêtres mais de libre accès à Goa, elles étaient parquées au premier pont dans un quartier particulier de l’enclos des femmes. Elles y resteraient sous la vigilance d’un soldat. Moins compréhensives que les militaires de faction, les religieuses tendraient un second barrage intérieur rapproché. Elles étaient blêmes rien qu’à l’idée de fornication flottant autour de ces créatures, encore qu’elles eussent une notion très abstraite des raisons de la connotation satanique entourant tout ce qui étaitbon en général et les jeux de l’amour en particulier. Elles savaient en tout cas que ces jeunes femmes faisaient planer un terrible danger sur les âmes candides rassemblées à bord de Nossa Senhora do Monte do Carmo , et elles prieraient chaque soir la sainte patronne du navire de les élever à la hauteur de leur mission. Elles l’appelaient d’ailleurs de son vrai nom de gloire : Nossa Senhora do Vencimento do Monte do Carmo, attristées que les marins aient pris l’habitude de le raccourcir en omettant la victoire.
Six mantes noires surgirent du gaillard d’arrière et allèrent rejoindre le groupe des femmes. Quand elles passèrent près de lui, François reçut le choc d’un rayon vert imprégnant fugitivement sa rétine, jailli de deux grands yeux qui glissèrent sur lui dans leur investigation effrayée de la foule qu’ils découvraient brusquement. Il se dit qu’ils étaient couleur d’émeraude, encore qu’il n’ait jamais vu aucun de ces fameux diamants verts que les Espagnols rapportaient de la région de Cartagena.
La
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