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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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sommes parties !
    — Dieu t’entende, Margarida. Moi, je tremble d’angoisse. Tout ici est démesuré. Cela dépasse mon entendement. Cesse donc de te donner en spectacle.
    La jeune femme faisait des grands signes enthousiastes en direction du rivage. Sur la plage rendue au peuple qui se pressait jusque dans les premiers pieds d’eau, tous les bras s’agitaient au rythme des ola ! qui arrivaient par vagues auxquelles répondaient les marins en jetant leur poing droit vers le ciel.

    On vit alors avant de les entendre les éclairs de la salve tirée de la terrasse de la tour de Belém, qui semblait s’être volatilisée brusquement en un nuage opaque. Toute l’escadre y répondit dans un fracas de poudre qui ébranla la caraque. Les salves protocolaires saluaient à la fois les couleurs royales et Notre-Dame du Bon Retour. En vérité, on s’adressait plutôt à elle en ce moment. Les hommes se découvrirent et se signèrent. Certains se mirent à genoux comme les femmes. La voix profonde du provincial des augustiniens lança le SalveRegina , repris en chœur par l’assemblée. Mater misericordiae, vita dulcedo et spes nostra, salve !
    Quelques minutes plus tard, sur tribord, le fort de Sào Julio de Barra s’illumina lui aussi de salves d’honneur et de bon voyage. Ora pro nobis, sancta Dei Genitrix ! La flotte répondit au salut avec la même bruyante gratitude alors que la caraque s’engageait dans le chenal des Cachopos… et a morte perpetua liberemur. Per eundem Christum Dominum nostrum. Amen !
    Ayant franchi la barre, le navire fut soulevé par la grande houle de l’Atlantique et retomba lourdement, faisant jaillir une gerbe d’écume. Un millier de nobles et de prolétaires, de clercs et de laïcs, de militaires et de civils se jetèrent sur le plat-bord et vomirent.

Nossa Senhora do Monte do Carmo

Dès la sortie du Tage, le pilote ordonna de saisir l’ancre de veille restée prête à être jetée d’urgence lors du franchissement des passes. Elle serait inutile pendant longtemps. Le maître d’équipage fit battre et sonner la fin des postes d’appareillage et appeler la première veille de quatre heures. Il enclenchait ainsi une routine dont les relèves allaient se succéder pendant des mois, nuit et jour, quel que soit le temps. Bastião Cordeiro fit du même coup basculer le navire dans la règle quasi monastique de l’univers marin.

    La flotte hissa les pavillons d’aperçu du signal de faire route selon la volte du vent de garbin, un vieux mot hérité des Arabes pour dire de gouverner au sud-ouest. Le mauvais temps avait abandonné derrière lui une grosse houle que le navire courant au grand largue, mal soutenu par sa voilure, prenait de la hanche tribord, tanguant et roulant fortement. Tout ce qui, mal saisi, pouvait bouger, glisser, rouler, tomber ou cogner entretenait un vacarme lancinant rythmé de tribord à bâbord et retour. Les marins aguerris s’occupant de ce qui était de leur ressort, les passagers étaient trop malades pour assujettir leurs biens en vadrouille et mettre fin à ce harcèlement sonore épuisant.

    Comme attendu, l’installation des deux Français fut mouvementée. Un neveu imprévu du capitaine-major avait occupé la chambre en bois, close par une vraie porte, destinée à l’apothicaire et à son aide. On les avait totalement oubliés et Jean posait problème. Le vice-roi consulté avec embarras sur le conflit d’intérêt entre son neveu et son apothicaire ayant très à propos exigé que son médecin demeurât à portée immédiate de ses appartements, l’attribution tardive d’un logement équivalent obligea à déloger quelqu’un d’autre. Un flot de protestations indignées roula sous le gaillard au fur et à mesure que se déplaçait la conséquence de la réquisition inopinée du neveu prestigieux. Le versement par Jean d’une gratification propitiatoire au maître d’équipage, quasiment le propriétaire du gaillard d’arrière, fit germer une solution.
    La victime de cette fâcheuse affaire fut un haut fonctionnaire de la monnaie de Goa, un homme décharné au bec d’aigle dont le regard jaune perçait entre des paupières parcheminées. Sa ladrerie le perdit sur cet astéroïde où tout avait un prix. Il fut délogé sur l’intervention polie mais ferme de l’écuyer du comte, pour raison supérieure de service, voire pour raison d’État. Blême, le fidalgo partit rejoindre le campement de trois fonctionnaires

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