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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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Hollandais volant fonçant toutes voiles dehors à travers la tempête, illuminé comme par une aurore boréale, les aigrettes du feu Saint-Elme accrochées à ses vergues. Tous les marins savaient que son capitaine, au lieu d’implorer Dieu comme son équipage agenouillé en prières dans une tempête des parages du cap de Bonne Espérance, avait blasphémé et s’en était remis à Satan dans un éclat de rire insolant. Il errait depuis pour l’éternité, dévoré par les feux de l’enfer.
    — J’ai croisé deux fois le Hollandais, confirma le philosophe. Tu as raison, François. Il n’y a pas que des mythes sur l’océan. Quel dommage d’aller dormir par une si belle nuit !

Le 26 mai, un événement bouleversa la caraque. Il était attendu car la santé du capitaine-major était chancelante mais ses conséquences allaient se révéler considérables.
    Dom Forjaz Pereira s’éteignit à l’aube.
    Assis sur son coffre, François était plongé dans la lecture des Coloquios dos Simples de Garcia da Orta par intérêt pour ce monument de l’histoire naturelle et pour améliorer sa pratique du portugais. Il avait relevé le panneau de toile pour jouir de l’espace du tillac qui, bien que peuplé de gisants crasseux, hirsutes, barbus et dépenaillés comme une cour des miracles, ouvrait sur le château avant, illuminé par le soleil levant. Jean, qui avait passé la nuit au chevet du mourant, entra brusquement à contre-jour dans son champ visuel.
    — François, le vice-roi vient de passer.
    — Mon Dieu ! C’était un homme de valeur.
    — Tout à fait. J’ai besoin de toi immédiatement. Le temps presse.
    — De moi ? Que puis-je imaginer faire d’utile dans la fièvre qui doit agiter le château ?
    — Il va faire terriblement chaud aujourd’hui. Le corps va se gâter très vite. Un vice-roi des Indes ne se jette pas à lamer comme un mort ordinaire. Nous allons donc lui faire des honneurs de pharaon et tu vas m’aider à l’embaumer.
    François retomba sur le siège dont il venait de se lever et écarquilla les yeux dans une expression d’incrédulité qui dérida Jean et le fit sourire. La perspective d’éviscérer le cinquième comte da Feira lui paraissait monstrueuse, et il se demanda en un éclair comment diable Jean Mocquet, érudit parisien familier de la cour, pouvait avoir acquis une telle familiarité avec les dépouilles humaines. Comment il pouvait entretenir un rapport aussi banal avec la mort, même s’il avait des notions de médecine. Il referma le livre des simples et le posa soigneusement sur le coffre de Jean en prolongeant sur lui un regard attendri par les beautés de la nature.
    — Je ne suis pas médecin, moi. Ni embaumeur.
    — Je ne te demande pas ton avis. Tu es supposé être mon assistant. Et puis, de toute façon, le barbier imbécile ne sait pas s’y prendre convenablement. Va quérir le sergent et viens me rejoindre avec lui. Il t’ouvrira le chemin.

    Pénétrant pour la première fois dans les appartements du vice-roi en soulevant une portière de velours grenat, François fut oppressé par la chaleur qui régnait dans la chambre basse de plafond. Des tentures épaisses masquaient les vitrages ouvrant sur la galerie arrière qui dominait la mer. Dans la pénombre, les officiers, le prieur des Augustiniens de Goa, le chapelain et les gens de la cour faisaient leur devoir de deuil et affirmaient leurs prérogatives. Tous étaient vêtus de drap ou de velours noir relevé d’élégants friselis de dentelles, de perles et de liserés d’or révélés par la lueur d’une lanterne dont le cristal était contenu dans une résille d’argent à la manière indo-portugaise. Des gouttes de sueur mettaient d’autres perles à leurs fronts.
    Dans la faible clarté, le mort était à peine plus blafard que lorsqu’il l’avait aperçu sur la dunette le jour de leur embarquement. Malgré l’état de faiblesse qui avait précédé sa mort, il n’avait pas perdu son embonpoint. Il était recouvert jusqu’à la poitrine du pavillon royal portugais frappé de l’écu blancaux cinq écussons bleus rappelant les plaies du Christ, entouré de la bordure rouge marquée des sept places fortes prises aux Maures pendant la reconquête. Dans ce petit espace désorienté par le lent roulis du navire, il apparut à François que le passage de la lumière à l’ombre était plus rapide, plus discret et moins durable dans les esprits que l’accession à la

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