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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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merci. D’ailleurs, qui pourrait trouver matière à me reprocher quoi que ce soit au cours de ces instants dont tu soulignes la fulgurance ? J’ai révélé à cette jeune femme des secrets de famille précieux pour elle et rien de plus. Je sens qu’un influx passe entre nous. Pourquoi ne pourrions-nous être amoureux l’un de l’autre ? Cela est-il anormal ou immoral ?
    Jean se prit la tête entre les mains.
    — Amoureux ! Le mot est lâché. Ayant insulté un fonctionnaire de la monnaie dès ton embarquement à bord et te mettant en plus en tête de séduire la fiancée d’un notable goanais de haute noblesse, il va te falloir bientôt choisir entre la prison ou l’assassinat. Puis-je te demander un instant de lucidité ?
    Calmé d’un coup, François riait de bon cœur, ce qui acheva de mettre son compagnon en colère.
    — Je suis sérieux, François. Fais très attention à ne pas dépasser les limites étroites des bons usages. Personne ici ne te fera de cadeau, tu le sais. Nous sommes trop visiblesmaintenant pour risquer un mauvais coup mais à Goa, on règle très simplement les comptes entre particuliers.
    Réalisant que leur chambre était ouverte à toutes les indiscrétions accidentelles ou malveillantes – les premières pouvant se transformer en secondes pour une poignée de réis – ils avaient baissé le ton, jusqu’à chuchoter.
    — Jean ! Je ne cherche pas à séduire Margarida. Je l’aime et c’est tout.
    — Après lui avoir parlé cinq minutes ?
    — Je suppose que ce que je ressens est bien cela dont il s’agit. Ça ne m’est jamais arrivé avant. C’est fantastique.
    — Soit ! Tu es tombé amoureux.
    — De toute façon, que puis-je y faire ?
    — Je n’ai pas terminé. Tu es amoureux. D’accord. Maintenant, réfléchis un peu, François. En admettant, c’est une hypothèse, en admettant que cette jeune femme réponde à ton inclination, voire même que vous ayez une aventure, à quoi cela vous mènerait-il ? Tu n’as aucune autre fortune que ton art de cartographe. Tu ne serais jamais accepté dans la société portugaise. À plus forte raison si tu avais commis l’imprudence et la vilenie de blesser un homme de la lignée des Fonseca.
    — Oui sans doute. Mais il y a un monde hors de la société portugaise.
    — Certes, il y a un monde. J’imagine parfaitement dona Margarida Costentin lavant les langes de vos enfants dans un lavoir dieppois.
    François eut brusquement les larmes aux yeux. Jean le prit par les épaules.
    — Je suis odieux et j’en suis peiné. Je t’en conjure, ne laisse pas grandir ton fantasme d’adolescent. Raisonne-toi, François. Nous sommes engagés dans une aventure à haut risque. Pas seulement en termes de voyage au long cours. Tu te mets en danger de mort.

    Le lendemain, des nappes très fines de nuages apparurent haut dans le ciel qui tourna au blanc. Un halo entourait lesoleil. Chaque soir, Sebastião de Carvalho obtenait le même succès avec la strophe 38 du chant VI des Lusiades .
    « La flotte fatiguée mais joyeuse poursuivait sa longue route sur une mer tranquille, poussée par un vent doux. C’était l’heure où la lumière du jour a quitté l’hémisphère oriental. Les hommes de la première veille se couchaient, ceux de la seconde prenaient le quart. »
    Le samedi 17 mai, veille de la Pentecôte, un événement sembla assez remarquable pour que la représentation du mystère fût annulée pour cause de miracle, alors que l’on se préparait à la dernière répétition. Ils avaient retrouvé Sebastião sur le gaillard d’avant. Il venait d’achever sa déclamation du crépuscule. Le temps virait à l’orage. La nuit était tombée, sauf une lueur crépusculaire vers l’est comme une émanation du Nouveau Monde quelque part devant eux. Soudain, un vent léger se leva d’un coup et le feu Saint-Elme se posa sur la grand-vergue comme si l’Esprit Saint descendait en personne pour célébrer la Pentecôte sur Nossa Senhora do Monte do Carmo .
    —  O Corpo Santo ! Lá em cima !
    —  O Corpo Santo !
    Tout le monde criait, le nez en l’air, bras tendus vers le haut du grand-mât. Les maîtres saluèrent le météore au sifflet selon la tradition. On se prit à témoin que l’on distinguait nettement deux lueurs autonomes. Les deux ionisations distinctes de l’air étaient un bon présage puisque saint Nicolas et sainte Claire se manifestaient de concert, tandis qu’une seule aurait

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