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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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été un mauvais signe répétait-on en se congratulant. La nouvelle du miracle se répandit dans tout le navire. Les religieux partirent annoncer que le rosaire de neuf heures serait érigé en prière collective d’action de grâce. Dieu gardait manifestement le regard posé sur la nef.
    Sebastião feuilleta fébrilement les Lusiades dont le vent jouait avec les pages, les lui enlevant des doigts.
    — Camões a tout dit ! Écoutez !
    « J’ai vu, de mes yeux vu l’aigrette brillante que les gens de mer tiennent pour sacrée, pendant la tempête et les bourrasques, quand s’abattait l’ouragan noir et gémissait le vent. »
    Il obtint ce soir-là des applaudissements particulièrement chaleureux. Se retournant vers Jean, il referma son livre et s’en cogna le front.
    — Ils ont bien tort de croire à un signe heureux du ciel. Je connais bien ces parages. Veille de Pentecôte ou pas, le feu Saint-Elme annonce que le temps devient instable. C’est une très mauvaise nouvelle en réalité puisque nous sommes déjà en retard.
    Il avait dégonflé sa voix de prédicateur pour leur parler en aparté. Jean qui passait toujours le plus clair de son temps au chevet du vice-roi savait que l’on s’inquiétait de la dégradation du temps dans les hautes sphères du château arrière. Le souffle d’air était retombé. Sans prendre vraiment au sérieux le voyageur poète, sa prédiction l’impressionna désagréablement.

Le surlendemain lundi, la cloche, les sifflets et les gongs annoncèrent que l’on franchissait l’équateur, attendu depuis quelques jours. Sous l’œil condescendant du pilote-major, oracle de cette effervescence, tout le navire se précipita aux bastingages pour voir à quoi ressemblait cette ceinture fameuse du globe terrestre. Les plus naïfs s’attendaient à une ligne tracée sur la mer, à un cercle de feu au mieux, d’eau bouillonnante au moins, voire à une manière d’octroi gardé par des êtres amphibies. Les plus avertis avaient annoncé que la caraque basculerait, légèrement avaient-ils précisé pour calmer les inquiétudes. Chacun put constater que, malgré les affirmations des érudits prenant la foule à témoin, rien ne changeait en réalité, ni le ciel plombé, ni la continuité horizontale de la mer ni la distance de l’horizon indéfiniment repoussé plus loin. Ni l’ennui.

    Sauf à penser que le pilote s’était trompé dans ses calculs, cet événement vraiment très ordinaire déçut beaucoup et un mécontentement général ternit l’atmosphère. Peu remarquèrent que l’altération du temps était plus inquiétante que cette frustration. L’orage avait été un signe avant-coureur. L’alizé qui mollissait depuis quelques jours avait fait place à des ventsindécis sous un ciel menaçant, et une touffeur moite avait envahi les entreponts comme si elle avait absorbé l’air respirable. Un vent rageur, tourbillonnant et inutilisable se levait seulement pour jouer quelques instants avec les grains tropicaux qui noyaient chaque soir la caraque sous des cataractes tièdes.
    D’abord saluées avec joie comme la mousson en Inde, elles firent en réalité régner une nouvelle tyrannie. L’humidité joncha le navire de hardes de rechange et de matelas noircis de moisissures, de vivres ramollis et gâtés, de coffres et de paillasses grouillant de vers qui semblaient être apparus par millions. Rien ne séchait, malgré la chaleur, dans cet air saturé d’humidité. L’odeur aigre de la fermentation des linges mouillés s’imposa parmi les autres puanteurs tandis que, sous les vêtements trempés sans espoir de séchage ni de rechange, se réveillaient l’inconfort, les frissons et les rhumatismes.

    Un soir, le crépuscule lavé de ses pluies offrit un formidable spectacle comme seule sait en produire la réfraction de la lumière dans la zone intertropicale. Le ciel rouge et pur d’une lumière insoutenable comme la gueule d’un four de verrier était tacheté de nuages déchiquetés et noirs montant de l’horizon de l’ouest comme si un vol de chauves-souris monstrueuses allait s’abattre sur le navire. Au loin, des amas de nuages aux formes rondes et nettes faisaient surgir de l’océan une terre montagneuse et violette abritant sans doute un Eldorado. Le gaillard d’avant était occupé à refus par les curieux accourus au spectacle.
    « Voici la grande machine du monde, formée de l’éther et des éléments, telle que la fabriqua le

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