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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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haut et profond Savoir auquel n’est assigné ni principe ni terme. Ce qui cerne ce globe rond et sa surface polie, c’est Dieu. »
    Quand Sebastião se tut, la beauté de l’instant plongea la foule dans un profond silence, chacun perdu dans sa propre méditation pendant que le ciel s’obscurcissait d’épuisement.La nuée montait toujours de l’ouest, comme un rideau noir, jusqu’à couvrir entièrement le ciel et les plonger dans une obscurité de tombeau.
    — On ne voit plus ses mains. C’est le signe de la nuit noire, dit la voix de Carvalho.
    Ils prirent conscience que le silence était tombé sur le gaillard d’avant où les conversations s’étaient éteintes. Dans la vague d’étrave, on discernait d’autant plus clairement les lueurs vertes provoquées dans les eaux tropicales par les minuscules noctiluques. Leur bioluminescence excitée par les remous faisait naître de bien étranges illuminations froides dans la mer. Marins et passagers les regardaient avec horreur entourer leur navire comme des signes évidents d’une vie sous-marine inimaginable, d’où pouvait jaillir à tout instant une apocalypse.

    Seul brûlait le feu de garde, une braise contenue jour et nuit comme une salamandre dans un gros fanal cadenassé, suspendu à hauteur d’homme au mât de misaine, entretenu par un factionnaire et gardé par un soldat. On avait allumé comme chaque soir selon un rituel immuable le lumignon du compas surveillé par un mousse et les deux fanaux de poupe conformes aux instructions remises aux capitaines, eux aussi gardés à l’œil toute la nuit. Ces trois lueurs tremblotantes étaient les seules lumières du navire, qui glissait chaque soir dans la pénombre sous la lune ou la clarté stellaire quand le ciel n’était pas trop nuageux. En ce temps des feux follets et des vers luisants, les hommes voyaient la nuit aussi bien que les chats.

    — Je suppose que le phénomène de la nuit noire survient souvent les nuits de nouvelle lune, quand d’épais nuages étouffent la clarté stellaire, dit la voix de Jean. À ton avis, Sebastião, serait-ce à l’origine du mythe de la mer des Ténèbres ?
    Le philanthrope avait étudié les antiques à Coimbra, et il avait approfondi ses connaissances au cours de ses multiples traversées. Il cita les Odes d’Horace. Oceanus dissociabilis  :l’océan qui sépare. Les Géorgiques. L’océan se perdait pour Virgile là où régnait le silence éternel d’une profonde nuit.
    — La mer des Ténèbres était beaucoup plus redoutable que la nuit noire, bien que personne ne s’y fût aventuré. On risquait des rencontres indescriptibles. Sur la face cachée du dessous de la Terre une horreur jamais vue entretenait les interdits des théologiens.
    — La terreur sacrée des ténèbres a traversé le Moyen Âge jusqu’au temps des découvertes. Les éclipses totales de soleil terrorisent les peuples naturels et font hurler les chiens à la mort.
    — La mer ne fait plus peur, dit une voix anonyme. Je veux dire qu’elle reste un danger physique mais que les mythes se sont dissipés.
    — Que non ! rétorqua François. Mon maître Guillaume Levasseur de Dieppe m’a assuré qu’il y a un siècle et demi persistait encore la croyance d’un avertissement matériel le long des côtes africaines. Une main surgie de la mer aux abords de l’archipel du cap Vert brandissait une interdiction formelle. Non procedes amplius !
    — « On ne va pas plus loin ! » commenta Sebastião. Nous étions pourtant depuis longtemps passés outre.
    — Quelqu’un connaît-il le bestiaire océanique d’Olof Månsson ? demanda François à la cantonade. – Il poursuivit, encouragé par un silence qui valait réponse. – C’est un des trésors de la bibliothèque de Guillaume. Il a été publié il y a une cinquantaine d’années. Ce livre décrit des animaux monstrueux des mers septentrionales. Son auteur était évêque d’Uppsala, l’université suédoise universellement reconnue. Pas n’importe qui. Je vous dis qu’il n’y a pas que des mythes au fond de l’océan.

    Des bruits feutrés entrecoupés de cognements et de jurons indiquèrent que, se guidant main après main, la foule abandonnait le gaillard à tâtons. Jean, François et Sebastião débattirent encore quelques instants de la pérennité des légendes. L’arrivée des Bataves en mer des Indes en faisait même naître de nouvelles. On commençait à voir passer ici ou làle

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