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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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gloire.
    Jean pria le sergent de faire apporter dans la chambre mortuaire le coffre aux drogues, quantité de benjoin noir de Sumatra et de camphre de Chine utilisés pour les fumigations en cas d’épidémie, ainsi qu’un fourneau dont son assistant répondrait. Un soldat veillerait à la porte, prêt à appeler au feu. Les dignitaires au regard sombre oscillaient de concert au rythme du roulis selon une verticale mouvante, tout en réfléchissant chacun en son intérieur à l’optimisation de son avenir personnel. François contint un fou rire nerveux tant le balancement régulier de cet alignement d’hommes puissants et noirs au visage impénétrable, rythmé par les grincements du roulis, était en décalage grotesque avec la solennité du moment. Les marionnettes se retirèrent de mauvaise grâce sur l’insistance de Jean.

    La procédure d’embaumement était une variante noble de la conservation des harengs, plus complexe et plus méticuleuse que le saurissage, songea François pour se convaincre d’une décontraction que démentaient ses narines pincées. Le réalisme de la scène était rendu moins perceptible par l’inhalation obsédante des vapeurs de camphre et de résines exhalées par la mixture chaude qu’il triturait sur le feu. Il pensa fugitivement à Yvon préparant l’encre sur le fourneau de l’atelier de Dieppe sans parvenir à se soustraire à son présent inimaginable. Dans l’atmosphère irrespirable par manque d’air frais et par excès d’aromates, François se liquéfiait en détournant les yeux du champ opératoire où l’apothicaire s’affairait tranquillement. Les viscères soigneusement empaquetés dans des linges furent évacués par un page blafard avant de gagner de mains dignes en gants nobles une destination inconnue, horsen tout cas de son domaine temporaire de responsabilité.
    Après une bonne heure d’opérations, le capitaine-major aminci fut rhabillé et rendu à ses officiers. Le corps fut alors couché dans un cercueil en bois de camphre aux poignées d’argent apporté en grande cérémonie par les charpentiers. Ils disposaient dans la soute aux voiles d’un mobilier funéraire d’urgence succinct mais de qualité en cas de disparitions exceptionnelles. Le cercueil fut enfoui dans un coffre de zinc dont le forgeron vint souder le couvercle au plomb, accompagné du sergent dont l’œil inquisiteur ne quitta pas le pot empli de braises dans lesquelles rougissait le fer.

    Le décès de dom Forjaz Pereira privait Jean Mocquet de son protecteur dans un environnement hostile. Il espéra que sa qualité d’apothicaire le ferait tolérer comme étant utile puisqu’au demeurant ses appointements étaient déjà payés jusqu’à Goa. Quant à François, il lui restait à faire ses preuves.
    Ce ne fut pas la seule mauvaise nouvelle de la journée. Les instructions royales prescrivaient, en cas de décès du vice-roi, d’ouvrir à l’arrivée à Goa le paquet contenant le décret nommant son successeur. La charge de capitaine-major, elle, passait aussitôt au vice-amiral, dom Cristóvão de Noronha. Dès que le sarcophage du comte da Feira fut déposé sur deux tréteaux dans une chambre transformée en chapelle mortuaire et recouvert à nouveau du pavillon royal, le conseil des principaux ordonna de signaler à la nef vice-amirale de mettre en panne et de se préparer à recevoir une embarcation.
    La délégation protocolaire ramena sur les quatre heures du soir le nouveau capitaine-major, qui embarqua avec les honneurs au canon dus à son rang. Trois heures plus tard à peine, il apparut que la fin du voyage serait placée sous la dictature d’un despote vicieux et prévaricateur.

    Son homonyme dom Afonso de Noronha, capitaine de Nossa Senhora do Monte do Carmo , était depuis longtemps malade. La contrariété du décès de dom Forjaz Pereira et de la prise de fonctions du nouveau capitaine-major le fitmourir de chagrin en moins d’une semaine. Selon sa volonté, son corps fut jeté à la mer le 1 er juin. Sans doute cet homme intègre fut-il heureux de quitter son navire non comme un courtisan mais à la manière d’un simple marin. Sebastião consacra en son honneur sa lecture du soir à la strophe 150 du chant X des Lusiades .
    « Récompensez vos serviteurs chacun selon son aptitude dans l’emploi qui est le sien. Que les religieux s’attachent à prier pour votre règne, d’expier par leur jeûne et leur ascèse les vices de l’humanité.

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