L'arc de triomphe
n’y avais pas pensé.
– Non, elle ne paraissait même pas surprise de me trouver là. »
Le plateau était préparé pour deux, sans que Ravic eût donné des ordres.
« Voici votre café. Vous avez mal à la tête ?
– Non.
– Moi, j’ai une terrible migraine, mais elle passera dans une heure. Une brioche ?
– Je n’ai pas faim.
– C’est-ce que vous imaginez. Essayez tout de même. »
Elle prit la brioche, mais la reposa aussitôt sur l’assiette.
« Vraiment, je ne pourrais pas.
– Dans ce cas, buvez le café et fumez une cigarette. C’est le déjeuner du soldat. »
Il se mit à manger. Après un moment, il releva la tête.
« Toujours pas faim ?
– Non. »
La femme éteignit la cigarette.
« Je crois que je devrais m’en aller.
– Vous saurez vous retrouver ? Nous sommes ici tout près de l’avenue de Wagram. Où habitez-vous ?
– À l’hôtel Verdun.
– C’est à deux pas. Je vous accompagnerai. »
Il vit qu’elle hésitait toujours. Évidemment, c’était de l’argent qu’elle voulait. Il tira son portefeuille.
« Non pas ça, je vous prie », dit-elle brusquement.
Elle se leva.
« Je m’excuse… Vous avez été… Je voudrais vous remercier… La nuit toute seule… Je n’aurais pas pu… je n’aurais pas su quoi faire… »
« Qu’attend-elle pour partir ? » se demanda Ravic. Il dit, pour rompre le silence :
« Et maintenant vous le savez ?
– Non, répondit-elle franchement. Tout ce que je sais c’est que je dois agir, que je ne puis me dérober.
– Eh bien, c’est toujours ça. » Il prit son pardessus. « Je vous reconduis.
– Non, non, c’est inutile… Dites-moi seulement… » Elle cherchait péniblement ses mots. « Vous savez peut-être ce que… ce qu’il faut faire… quand…
– Quand ?
– Quand quelqu’un meurt. »
Elle s’effondra brusquement. Pas de sanglots. Elle pleurait presque sans bruit. Ravic attendit qu’elle se calmât.
« Quelqu’un est mort ? »
Elle fit signe que oui.
« Hier soir ? »
Même jeu.
« Vous l’avez tué ? »
Elle se redressa.
« Quoi ? Que dites-vous ?
– Je vous demande si vous l’avez tué. Si vous voulez que je vous aide, il faut tout me dire.
– Il est mort ! cria-t-elle. Il est mort subitement. Il était…
– Il était malade ?
– Oui.
– Vous avez appelé le médecin ?
– Oui, mais il refusait d’aller à l’hôpital.
– Le médecin est venu hier ?
– Non, avant. Il y a trois jours. Mais il s’est terriblement fâché… Il l’a mis à la porte…
– Vous en avez appelé un autre ?
– Nous n’en connaissions pas d’autre. Nous n’étions ici que depuis trois semaines. C’est un garçon de l’hôtel qui nous avait trouvé celui-là.
– Qu’est-ce qu’il avait ?
– Je ne sais pas au juste. Le docteur disait que c’était une pneumonie, mais il ne voulait pas le croire. Il hurlait que tous les médecins ne sont que des voleurs et des charlatans. Et hier il se sentait mieux. Puis brusquement…
– Pourquoi ne l’avez-vous pas amené à l’hôpital ?
– Il refusait d’y aller. Il disait que… que je le tromperais pendant son absence… Vous ne le connaissez pas, quand il avait décidé une chose, il n’y avait rien à faire.
– Il est toujours à l’hôtel ?
– Oui.
– Vous avez averti le propriétaire ?
– Non. Quand j’ai compris tout à coup qu’il était mort, ça été plus fort que moi… je me suis enfuie. »
En se rappelant la nuit qu’il venait de passer, Ravic se sentit vaguement gêné. Mais quoi, c’était arrivé, voilà tout. Pour elle, une seule chose avait compté, surmonter les affres de cette nuit, atteindre le lendemain. La vie était autre chose, après tout, qu’une série de conventions sentimentales. Ainsi, la nuit où Lavigne avait appris la mort de sa femme, il l’avait passée dans une maison close. C’était ce qui l’avait sauvé, alors que rien d’autre n’aurait probablement réussi. Il s’agissait simplement de comprendre. Il prit son pardessus.
« Venez. J’y vais avec vous. C’était votre mari ?
– Non. »
Le propriétaire de l’hôtel Verdun était un gros homme complètement chauve, mais pourvu d’une énorme moustache noire et de sourcils broussailleux. Il était dans le hall. Derrière lui se tenaient un garçon, une femme de chambre, et une caissière à
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