L'arc de triomphe
une journée de plus. »
La femme s’était assise dans un coin de la chambre, parmi les valises. Le soir tombait.
« Nous n’avons plus qu’à attendre la police, dit Ravic. Après cela, on pourra l’emporter. C’est curieux, l’importance que prend un mort, alors que vivant, personne ne faisait attention à lui. Ne voulez-vous pas descendre ? Il doit y avoir un salon en bas. »
Elle fit non de la tête.
« Je vous accompagnerai. Un de mes amis va s’occuper de la police. Le docteur Veber. Nous pouvons l’attendre en bas.
– Je voudrais rester ici.
– À quoi bon ? Il n’y a plus rien à faire.
– Je ne sais plus… Mais il… il ne sera plus ici très longtemps… Souvent je… Voyez-vous, il n’a pas été très heureux avec moi… J’étais si souvent absente… Alors, maintenant, je tiens à rester. »
Elle dit cela sans la moindre sentimentalité.
« Bien, je fais monter quelque chose. Vous en avez besoin. »
Il sonna, sans attendre une réponse. Le garçon arriva avec une rapidité surprenante.
« Deux cognacs.
– Ici ?
– Bien sûr, ici. »
Le garçon apporta deux verres et une bouteille de Courvoisier. Il loucha vers le lit qui faisait une tache blanche dans le coin.
« Faut-il allumer ? demanda-t-il.
– Non, mais laissez la bouteille. »
Le garçon déposa le plateau sur la table et sortit en hâte. Ravic remplit les verres.
« Prenez, ça vous réconfortera. »
Il s’attendait à un refus, mais elle vida son verre sans hésiter. Il demanda :
« Y a-t-il des objets à vous dans cette valise ?
– Non.
– Et dans la petite valise ?
– Je ne sais pas ce qu’il y gardait. »
Ravic déposa la valise sur la table près de la fenêtre et l’ouvrit. Quelques flacons, des sous-vêtements, des cahiers de notes, une boîte de couleurs et des pinceaux, un livre. Dans un compartiment de la serviette en toile cirée, il trouva deux billets de banque soigneusement enveloppés dans du papier de soie.
« Tenez, il y a cent dollars ici. Prenez-les. Ça vous permettra de vivre quelque temps. Plaçons la valise près des vôtres. Elle peut très bien vous appartenir.
– Merci, dit la femme.
– Vous trouvez sans doute tout cela un peu écœurant. Mais c’est nécessaire. Il faut d’abord songer à ce que vous allez devenir.
– Je ne trouve pas cela écœurant… Mais je crois bien que je n’aurais pu le faire moi-même. »
Ravic emplit de nouveau les verres. Elle but lentement.
« Ça va mieux ? »
Elle leva les yeux sur lui.
« Ni mieux ni plus mal. Je suis comme engourdie. Tant qu’il sera ici, je ne pourrai penser à rien. »
Le crépuscule l’enveloppait. À intervalles réguliers, les enseignes de néon coloraient son visage et ses mains d’un reflet rougeâtre.
Les deux ambulanciers déposèrent la civière à côté du lit. Avec l’indifférence qu’engendre l’habitude, ils soulevèrent le corps. Ravic se tenait à côté de la femme, prêt à la soutenir au besoin. Les deux hommes jetèrent une couverture sur le mort. Ravic prit la statuette de la madone sur la table de nuit.
« Ceci vous appartient, je crois. Vous ne voulez pas la conserver ?
– Non. »
Il ouvrit la petite valise et y glissa l’objet.
Les ambulanciers soulevèrent la civière. La porte de la chambre était trop étroite et elle s’ouvrait sur un corridor exigu. Ils tentèrent de passer, mais c’était impossible.
« Il va falloir l’enlever, dit l’un d’eux. Pas moyen de sortir autrement. » Il fit signe à Ravic.
« Venez, dit celui-ci à la femme. Nous allons attendre en bas. » Elle secoua la tête. « Bien, dit-il à l’homme. Faites le nécessaire. »
Soulevant le mort par les épaules et les pieds, ils le déposèrent sur le plancher. Ravic observait la femme, mais elle ne broncha pas. Ils transportèrent la civière jusque dans le corridor mal éclairé. Puis ils revinrent chercher le corps. Ravic les suivit. Il leur fallut soulever la civière très haut pour descendre l’escalier. Leurs visages étaient rouges et ils suaient à grosses gouttes, tout en balançant dangereusement le cadavre au-dessus d’eux. Ravic les suivit des yeux jusqu’à ce qu’ils eussent atteint le bas de l’escalier, et revint ensuite dans la chambre.
La femme était à la fenêtre. Elle regardait les deux hommes glisser leur fardeau dans l’ambulance, comme deux boulangers leur fournée dans le four. Une seconde
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