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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E.M. Remarque
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mystérieuse à laquelle il avait cessé de croire.
    Il était le premier homme à nouveau, sur la grève, émergeant de l’onde, pur et radieux. À la fois question et réponse, il s’exaltait, et l’orage commençait à paraître dans ses yeux.
    « Tiens-moi », dit-elle.
    Il plongea ses yeux dans les siens, et mit son bras autour d’elle. Elle vint à lui comme un navire qui entre au port.
    « Il faut donc te tenir ?
    –  Oui. »
    Les mains de Jeanne s’appuyaient sur sa poitrine.
    Un autre taxi ralentit le long du trottoir. Le chauffeur les regarda sans émotion. Un petit chien était juché sur ses épaules.
    « Taxi ? cria le chauffeur d’une voix rauque.
    –  Tu vois, dit Ravic. Il ne sait rien. Il ne se doute pas de ce qui vient de nous arriver. Il nous regarde sans voir que nous avons changé. Comme le monde est aveugle ! On peut se transformer en un archange ou en un criminel, et personne ne le voit. Mais si, par contre, il manque un bouton à notre habit, tout le monde le remarque.
    –  Tant mieux. C’est bien ainsi. Cela nous laisse à nous-mêmes. »
    Il lui mit son bras autour des épaules. Elle s’appuya contre lui. Il eut l’impression que quelque chose s’ouvrait en lui, quelque chose d’infiniment fort et doux, qui l’entraînait comme d’innombrables mains. Il lui fut tout à coup insupportable d’être là avec elle, debout stupidement, au lieu de tomber, de l’étendre pour répondre à l’appel de la chair, l’appel plus ancien que les siècles, plus ancien que le cerveau, que les pensées et que la souffrance…
    « Viens », dit-il.
    Ils s’en allèrent dans la bruine. Au bout de la rue, la grande place s’étendait, déserte, devant eux, comme une mer d’argent sombre, dans laquelle s’estompait la forme gracieuse de l’Arc.

 
CHAPITRE IX
     
     
     
    R AVIC revint à l’hôtel. Lorsqu’il était parti, Jeanne Madou dormait encore. Il était resté absent plus de trois heures.
    « Bonjour docteur », dit quelqu’un dans l’escalier.
    Ravic ne reconnut pas le visage pâle, les cheveux noirs touffus, les lunettes.
    « Je suis Jaime Alvarez, dit l’homme. Vous ne me reconnaissez pas ? »
    Ravic secoua négativement la tête. L’homme se baissa et remonta la jambe de son pantalon. Une grande cicatrice partait de la cheville pour finir au genou.
    « Vous rappelez-vous maintenant ?
    –  J’ai fait l’opération ?
    –  Oui. Sur une table de cuisine, tout près du front. C’était un hôpital temporaire près d’Aranjuez. Une petite bicoque blanche entourée d’amandiers… »
    Ravic se rappela soudain l’odeur fade et sucrée des fleurs d’amandier. C’était comme si elles eussent été là, dans l’escalier, inextricablement mêlées à l’odeur plus fade et plus sucrée du sang.
    « Oui. Je me souviens. »
    On avait rangé les blessés les uns à côté des autres, sur la terrasse qu’illuminait le clair de lune. C’était l’œuvre de quelques avions allemands et italiens. Des enfants, des femmes, des paysans déchirés par des éclats d’obus. Un petit sans visage ; une femme enceinte, éventrée jusqu’aux seins ; un vieillard qui tenait obstinément dans une main les doigts arrachés de l’autre, s’imaginant qu’on les recoudrait. Par-dessus tout cela, l’odeur parfumée de la nuit, et la rosée fraîche qui tombait.
    « Votre jambe va tout à fait bien maintenant ?
    –  Oui, à peu près. Sauf que je ne peux pas la plier complètement. » L’homme sourit. « Elle a cependant été assez bonne pour me permettre de franchir les Pyrénées. Gonzalès est mort. »
    Ravic avait oublié qui était Gonzalès. Par contre il se souvint d’un jeune étudiant qui avait été son assistant.
    « Qu’est devenu Manolo ?
    –  Il a été pris. Fusillé.
    –  Et Serna ? Le commandant de la brigade ?
    –  Il est mort, devant Madrid. » L’homme sourit encore. C’était un sourire rigide, exempt d’émotion. « Mura et La Pena ont été pris aussi. Fusillés. »
    Ceux-là aussi, Ravic les avait oubliés. Il avait quitté l’Espagne après six mois, lorsque le front avait été rompu, et son hôpital dispersé.
    « Garnero, Orta et Goldstein sont dans un camp de concentration. En France. Blatzky aussi est sauf. Il est caché au-delà de la frontière. »
    Goldstein était le seul dont Ravic se souvenait encore. Il y en avait trop.
    « Vous habitez l’hôtel ? demanda-t-il.
    –  Oui. Nous sommes

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