L'arc de triomphe
« Alors, c’est vous le médecin !
– Comment vous sentez-vous, Lucienne ? demanda Ravic sans faire attention à lui. Vous faites bien de rester au lit.
– Elle aurait pu se lever depuis longtemps, maugréa le garçon. Elle est bien, maintenant. Quand elle ne travaille pas, ça augmente les dépenses. »
Ravic se tourna vers lui. « Laissez-nous, dit-il.
Hein ?
– Veuillez sortir de la pièce. Je dois examiner Lucienne. »
Le garçon éclata de rire.
« Pas besoin de vous gêner devant moi ! J’suis pas si sensible ! Et puis à quoi bon un autre examen ? Ça fait le prix d’une visite de plus, et c’est tout.
– Je n’ai pas l’impression que c’est vous qui la paierez, de toute façon, répondit Ravic. Et puis ça ne vous regarde pas. Maintenant sortez. »
Le type ricana et étendit confortablement ses jambes. Il portait des souliers de cuir verni à bout pointu et des chaussettes violettes.
« Je t’en prie, Bobo, dit Lucienne. Une minute seulement. »
Bobo ne fit pas attention à elle. Il continua de s’adresser à Ravic.
« Je suis du reste enchanté que vous soyez là. Comme ça je peux dire tout de suite de quoi il retourne. Vous vous figurez peut-être que vous pouvez nous saigner à blanc avec des frais d’hôpital, d’opération et tout ce qui s’ensuit. Eh bien, rien à faire. Je n’ai pas demandé qu’elle aille à l’hôpital, ni qu’elle soit opérée. Alors, je ne marche pas ! Vous avez de la chance qu’on ne vous réclame pas de dommages, pour avoir opéré sans autorisation. Ça vous la coupe, hein ? Le petit Bobo est pas né d’hier. On ne le possède pas si facilement. »
Il avait l’air parfaitement satisfait de lui-même. Il avait l’impression de s’en être tiré brillamment. Lucienne était devenue pâle. Son regard allait anxieusement de l’un à l’autre.
« Alors, c’est compris ? fit Bobo triomphalement.
– Était-ce lui ? » demanda Ravic à Lucienne. Il n’obtint pas de réponse. « C’est donc ça ! »
Il considéra le dénommé Bobo. Un grand garçon maigre, avec un foulard en rayonne autour du cou décharné où saillait la pomme d’Adam. Des épaules tombantes, un nez trop long, un menton de dégénéré… bref, le type parfait du maquereau des faubourgs.
« C’est donc quoi ? questionna Bobo avec défi.
– Je crois que je vous ai demandé par deux fois de sortir pour que je puisse examiner Lucienne.
– M… ! » dit Bobo pour toute réponse.
Ravic avança lentement vers lui. Il en avait assez de Bobo. Celui-ci bondit, et recula. Soudain, il tira de sa poche une corde d’environ deux mètres de long. Ravic savait ce qu’il voulait faire. Un saut de côté puis il passerait rapidement derrière lui et l’étranglerait. Ça réussissait immanquablement si l’adversaire n’était pas au courant, et s’il tentait de se servir de ses poings.
« Bobo ! cria Lucienne. Bobo, je t’en supplie !…
– Espèce de canaille ! dit Ravic. Alors c’est le coup de la corde ? Tu ne connais rien de mieux que ça ? »
Il se mit à rire.
Un instant Bobo fut dérouté. Son regard devint incertain. En un éclair, Ravic lui avait rabattu son gilet par-dessus les épaules, lui immobilisant les bras.
« Tu ne connais pas celle-là ? fit-il, ouvrant vivement la porte et projetant son adversaire impuissant hors de la chambre. Si tu aimes ça, fais-toi soldat, espèce d’apache à la manque ! Mais ne t’attaque pas aux grandes personnes. » Il referma la porte à clef. « Et maintenant, Lucienne, je vais vous examiner. » Comme elle tremblait, il lui dit : « Du calme, c’est fini. » Il retira le couvre-pied de coton et le posa sur une chaise. Il abaissa la couverture. « Un pyjama ? Pourquoi ? C’est moins confortable. Vous devez remuer le moins possible durant quelque temps encore. »
Elle hésita avant de répondre.
« Je ne l’ai mis qu’aujourd’hui.
– Vous n’avez pas de chemise de nuit ? Je puis vous en faire envoyer deux de la clinique.
– Non. Ce n’est pas pour ça. Je l’ai mis parce que je savais qu’il allait venir. » Elle baissa la voix. « Il dit que je ne suis plus malade. Il ne veut plus attendre…
– Comment ? C’est dommage que je ne l’aie pas su plus tôt. » Ravic regarda du côté de la porte. « Vous allez voir qu’il attendra. »
Lucienne avait la peau très blanche des anémiques. Les veines bleues
Weitere Kostenlose Bücher