L'archer démoniaque
France ?
— C’est ce que j’ai dit.
— Et, enfin, vous ne pleureriez pas, continua Corbett, s’il arrivait un accident vous permettant d’abroger le traité de mariage avec la France. Vous espérez qu’il ne s’agira pas de mon assassinat, mais, si c’était le cas, vous en useriez ?
— Oui, oui, bien entendu ! soupira le roi. Je vous chéris, Hugh. Je tirerais vengeance de votre mort. Mais ce traité ?
— Vous devez le respecter ! insista le magistrat. Il a été décidé en conseil plénier. Tout effort pour le violer conduirait à la plus dure des guerres et déclencherait la colère de la papauté.
— Vous êtes d’accord avec le traité ? demanda Édouard.
— Vous le savez bien, Sire.
Le roi fit un grand geste.
— Alors que Dieu en décide !
Il repoussa sa chaire.
— Vous devez être dans le Sussex à la nuit tombée.
Il traversa la grand-pièce, tapota l’épaule de Corbett, fit un clin d’oeil à Ranulf et, Warrenne se hâtant sur ses talons, claqua la porte derrière lui.
— Vous n’auriez pas dû dire ça ! s’emporta Ranulf.
Il tira un banc et s’assit près de son maître.
— J’ai le devoir de dire la vérité, rétorqua ce dernier. Oh, je sais qu’Édouard ne désire pas ma mort, cependant il veut absolument rompre le traité. Mais on ne me tuera pas, hein, Ranulf, pas si mon ange gardien me protège ?
Son serviteur rougit et détourna ses yeux verts.
— Tu cilles toujours quand tu es nerveux, le taquina Corbett. Comme Lady Maeve lorsqu’elle me tance.
Ranulf frappa la table de ses gantelets cloutés.
— Je suis votre serviteur, Sir Hugh, en temps de paix comme en temps de guerre. Vous m’avez sauvé du gibet {8} . Je vous dois la vie. Aucun pape, aucun roi, aucun prêtre ne pourra jamais annuler cette dette.
— Non, aucun ne le pourra, dit Corbett en soupirant et en se levant. Mais ils pourraient essayer et tu es un homme ambitieux, Ranulf-atte-Newgate. Ainsi nous ne retournerons pas à Leighton.
Il se frotta la poitrine à l’endroit où elle était encore endolorie.
— Allons demander aux clercs nos mandats et sauf-conduits, et, avant le crépuscule, nous serons à Ashdown.
L’huis s’ouvrit et un serviteur portant le tabard royal bleu, rouge et or, entra, puis frappa avec majesté les dalles de son bâton blanc.
— Mon Dieu, se moqua Ranulf, c’est l’archevêque de Cantorbéry !
— Édouard, prince de Galles, déclama pompeusement le chambellan, requiert votre présence. Il se trouve dans la lice.
— Voilà qui ne manque pas d’intérêt ! chuchota Corbett.
Ils traversèrent la grand-salle, derrière le chambellan, pour gagner la cour. Le soleil du matin scintillait sur les graviers humides. L’endroit bourdonnait d’activité : les palefreniers sortaient les chevaux des écuries, on déchargeait les poneys de bât et on dételait les charrettes. Des poulets picoraient et gloussèrent furieusement quand un chien du palais se précipita en jappant. Serviteurs et soldats grouillaient. Un groupe d’archers royaux avaient amené un voleur pour qu’il soit jugé ; après l’avoir dévêtu, ils l’avaient attaché à un arbre et le flagellaient avec vigueur à coups de baguette de saule. Le prisonnier haletait, tirait sur ses liens, tressaillait et se tordait au fur et à mesure que les marques violacées balafraient sa peau blanche et grenue.
Le chambellan les conduisit par une allée en terre-plein jusqu’à une lice sablée, formée d’un long rectangle de terre poussiéreuse coupé, par le milieu, par une haute palissade de joute en bois. À chaque extrémité un cavalier en armure attendait. L’un d’entre eux arborait le cimier des Beaumont du Norfolk ; l’autre, le plus proche de Corbett, le dragon rouge du pays de Galles.
Une trompe lança une longue sonnerie métallique et aiguë. Les deux montures prirent un petit trot pesant avant de s’élancer au galop. Les cavaliers abaissèrent leurs lances qui se balancèrent sur le cou des chevaux quand les hommes se précipitèrent l’un vers l’autre. Le prince de Galles était plus rapide grâce à son cheval plus léger et plus vif. Sa lance écarta l’écu de son adversaire qu’il frappa en pleine poitrine. Le cavalier du Norfolk vacilla sur sa selle, tenta de reprendre son équilibre, puis bascula dans un grand bruit et des nuages de poussière sous les clameurs et les acclamations des spectateurs. Le prince vainqueur lâcha sa lance,
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