L'archer démoniaque
jadis, à la cour de France. Attaché surtout à Jeanne de Navarre, l’épouse décédée de Philippe IV. Il me semble qu’il est mort dans un accident en barque, sur la Seine, n’est-ce pas ?
— C’est exact, répondit Smallbone en engloutissant un morceau de gibier tout en laissant le jus ruisseler sur son menton.
— Et quoi d’autre, Messire Smallbone ?
— Eh bien, le roi s’en soucie tant que Simon Roulles a été dépêché à Paris.
— Roulles ! s’exclama Corbett.
— Qui est-ce ? intervint Ranulf.
— Je le connais, expliqua Corbett. C’est un joyeux gaillard, Ranulf, un agile danseur, un chanteur, un troubadour, un homme qui aime les dames. Je croyais qu’il était mort à Rome, tué dans une échauffourée.
Smallbone nia d’un signe de tête.
— Il est bien vivant et s’ébaudit à Paris, et, à vrai dire, il courtise assidûment Maîtresse Malvoisin. C’est tout ce que j’ai à vendre.
— La femme du mire décédé ?
— Elle-même.
— Oh, diable ! s’écria Ranulf.
— Savez-vous pourquoi, Messire Smallbone ? questionna Corbett.
Le petit clerc eut un geste d’ignorance.
Corbett repoussa son tranchoir {12} sans avoir touché au gibier, remercia et, suivi de Ranulf, quitta la pièce. Il s’arrêta en haut de l’escalier.
— N’oublie pas ce que je vais te dire, Ranulf. Quand nous serons à Ashdown, sois sur tes gardes : cet endroit ne sera que trahison et meurtre !
Il fit une pause.
— Il y a quelque chose de malsain, de mystérieux, dans tout ce qu’on nous a révélé !
CHAPITRE III
Robert Verlian, chef verdier de feu Lord Henry Fitzalan, n’aurait pas contredit Corbett. Il ne s’était ni baigné ni changé ; son visage et ses mains étaient piqués par les orties et les ronces à travers lesquelles il avait rampé.
Il était retourné à Savernake Dell et avait vu la dépouille de Lord Henry et la flèche de trois pieds de long fichée dans sa poitrine. Verlian avait regagné le manoir à pas de loup et compris alors qu’il était le principal suspect ; les langues s’agiteraient bientôt et on le montrerait du doigt. Verlian avait tué son maître ! Il serait capturé et jugé ! Il avait fui au fond de la forêt, comme le bandit qu’il était devenu. Quelle justice pouvait-il attendre des mains de Sir William ? Le seigneur du château avait droit de hache et de tombereau {13} . On pouvait traîner Verlian devant la cour du manoir, le pendre avant la tombée du jour et confisquer ses biens. Qu’adviendrait-il alors d’Alicia ?
Verlian s’accroupit sous un chêne, un vieil arbre qui, d’après les légendes, servait aux prêtres païens pour leurs sacrifices. Il n’avait mangé qu’un peu de pain et de viande avariée qu’il avait dérobés dans la chaumière d’un charbonnier. À présent, comme les nombreux animaux qu’il avait chassés, il tendait l’oreille pour entendre les bruits de poursuite portés par la brise matinale.
Il croisa les bras sur sa poitrine. Il avait passé la nuit près du ruisseau de Radwell, et son corps était douloureux des pieds à la tête, mais que pouvait-il faire ? Le manoir d’Ashdown était un endroit dangereux et le shérif local se trouvait à plusieurs miles de là. Son esprit fatigué passa en revue les événements des dernières semaines. L’engouement de Lord Henry pour sa fille Alicia croissait de jour en jour. Il ne cessait de l’importuner. Friandises et vins, riches tissus, présents en tout genre, et même un palefroi blanc comme neige, avaient été proposés. Alicia restait inflexible.
— Je ne suis la catin de personne ! avait-elle dit d’un ton sec. Même pas celle d’un seigneur !
Elle avait renvoyé les cadeaux. Lord Henry n’en avait été que plus pressant, allant jusqu’à pénétrer de force dans la chaumine où ils demeuraient à Ashdown. Alicia, sa colère ne connaissant pas de bornes, s’était emparée d’un arc et d’une flèche dans le coffre de son père et avait prévenu Lord Henry que, s’il ne sortait pas, elle le tuerait et soutiendrait que c’était pour se défendre. Fitzalan était devenu mauvais et avait proféré des menaces. Il leur avait rappelé qu’ils étaient ses serviteurs, qu’il possédait le toit sous lequel ils vivaient et que les routes du Sussex n’étaient pas un endroit sûr pour un homme sans terre et sa fille. Verlian avait demandé l’aide de Sir William, mais ce cadet sournois n’avait pu venir
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