L'archer démoniaque
les truands qui tuaient un homme simplement pour lui dérober ses bottes. Il porta la main à son poignard. Alors qu’il allait protester, les arbres tout d’un coup s’éclaircirent, le sol s’inclina et il aperçut la piste sinueuse dans les bois. Corbett laissa son cheval descendre puis monta en selle. Ranulf fit de même et le rejoignit.
— Nous ne tournons pas en rond, n’est-ce pas, s’inquiéta-t-il, en allant d’un endroit à l’autre ?
Corbett leva les yeux vers les nuages blancs moutonnants. Le ciel était clair et le soleil devenait plus ardent. Il respira la délicieuse odeur de la forêt et des fougères humides, ce parfum chaud et moite qui montait des arbres trempés par la pluie.
— Au début, ce sera facile, prédit-il. On nous laissera aller où nous voudrons. Mais c’est un bien mauvais brouet et plus nous y plongerons nos cuillères, plus il sera exécrable. Lord Henry a été assassiné, et je crois que, d’une manière ou d’une autre, la dépouille anonyme a quelque chose à voir avec ça. Cette jeune femme a été tuée, dévêtue, et, si ce qu’on dit est vrai, enterrée secrètement jusqu’à ce que quelqu’un l’exhume et place son corps devant les grilles du prieuré. Ce n’est point ainsi qu’agissent les brigands.
Il s’interrompit et rassembla les rênes.
— Nous avons les Fitzalan, deux frères et une demi-soeur. Il y a, entre eux, beaucoup d’inimitié, voire même de la haine. Nous avons cet étrange bandit, le Hibou, avec ses menaces secrètes. Nous avons aussi, dans l’ombre, Jocasta et sa fille, Verlian, le frère Cosmas et même Odo, l’ermite : voilà le jeu. Puis nous avons le roi et ses projets. N’oublions pas non plus le prince de Galles. Dieu sait ce qu’il complote ! Et enfin, mais ce n’est pas le moins important, notre bien-aimé frère en Jésus-Christ, le seigneur Amaury de Craon. Chaque groupe peut être pris à part, mais je pense, Ranulf, que plus nous touillerons le pot, plus ils se mélangeront.
Il sourit.
— Il sera peut-être très dangereux dans peu de temps de se promener dans la forêt d’Ashdown. Je n’irai donc pas vers eux. Je suis l’envoyé du roi et c’est eux qui viendront à moi.
Ranulf était sur le point de demander comment lorsqu’une flèche siffla devant lui et vint se ficher profondément dans le sol. Il mit aussitôt pied-à-terre et décrocha la petite arbalète qu’il portait au pommeau de sa selle. Un autre sifflement et un trait s’enfonça dans la piste, derrière lui. Corbett, lui aussi, sauta de cheval et se servit de sa monture comme d’un bouclier.
— À droite ! cria Ranulf.
Et, comme pour lui répondre, deux autres flèches vrombirent au-dessus de leur tête et frappèrent les arbres dans leur dos.
CHAPITRE V
Corbett et Ranulf se protégèrent derrière leurs chevaux qui hennissaient et flanelaient, gagnés par leur agitation.
— Combien y a-t-il d’archers, Ranulf ?
— Un seul, Messire. Je ne crois pas qu’il veuille nous tuer. Il a décoché au moins quatre flèches et une seule lui aurait suffi pour atteindre sa cible.
Corbett eut beau scruter les arbres par-dessus sa selle, il ne vit rien. L’orée de la forêt aurait pu dissimuler une armée, il n’en aurait pas été plus avancé pour autant. Les chevaux finirent par se calmer.
— Vous savez, Messire, je crois qu’il est parti.
Ranulf, quittant le rempart de sa monture, avança avec prudence de quelques pas. La main sur le chanfrein de la bête, il lui parlait doucement. Il épiait chaque mouvement sous les arbres.
— Ne craignez rien ! cria un homme d’une voix rauque. Je ne vous veux aucun mal ! Regardez cette flèche !
Ranulf se tourna vers le trait, toujours planté dans la piste devant lui, et remarqua le morceau de parchemin noué d’un fil rouge au-dessus de la penne. Il se précipita pour arracher la flèche. À l’abri derrière son cheval, il dénoua le cordon rouge ; le vélin était jaune et graisseux, mais le message parfaitement clair.
Le Hibou salue l’envoyé du roi ! Justice a déjà été faite. Le Hibou voit ce qu’il veut voir et entend ce qu’il veut entendre ! Il va où il veut. Adieu.
Corbett arracha le bout de parchemin des doigts de Ranulf et le parcourut.
— Il porte bien son nom, commenta-t-il. Le Hibou, oiseau de nuit qui fond en silence sur sa proie. Je me demande si c’est notre tueur.
— Pourquoi ce message ?
— Il laisse simplement sa
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