L'archipel des hérétiques
visitées. L'épave elle-même avait déjà
été engloutie par les vagues à l'époque où Pelsaert quitta l'archipel et, même
au xvii c siècle, les événements tragiques qui s'y étaient
déroulés n'y avaient laissé que peu de traces.
Mais l'épopée du Batavia était à la fois trop
sanglante et trop spectaculaire pour tomber si facilement dans l'oubli. Elle
circula aux Pays-Bas durant tout le xvn e siècle, sous forme de
livres et de pam-phlets, puis, au xvm e siècle, dans les récits de
voyages et les histoires des Indes. La prouesse d'Ariaen Jacobsz, qui avait
réussi à franchir trois mille kilomètres en chaloupe pour regagner Java, resta
elle aussi dans les mémoires - bien que, par une curieuse ironie du sort, son
trajet depuis les Abrolhos jusqu'au détroit de la Sonde ait été baptisé « route
de Pelsaert » sur les cartes du monde établies par Guillaume de l'Isle entre
1740 et 1775. Au début du xix e siècle, le souvenir des événements de
1629 avait tout de même fini par s'estomper. Le nom de Jeronimus Cornelisz
n'évoquait plus qu'un vague cauchemar, et on avait totalement perdu la trace du
site du naufrage du Batavia.
Il fallut attendre 1840, époque où les Abrolhos de Houtman
furent enfin répertoriées, lors d'une étude hydrographique de la Royal Navy,
pour que l'histoire du Batavia connaisse un regain d'intérêt auprès du
public. Les études furent menées sous la direction du lieutenant Lort Stokes 24 ,
à bord du HMS Beagle, l'ancien vaisseau de Charles Darwin. La
configuration de l'archipel fut définitivement établie - trois groupes d'îles
distinctes, s'étendant du nord au sud sur environ quatre-vingts kilomètres.
Stokes avait lu des comptes rendus de voyage de la Compagnie hollandaise des
Indes orientales. Il savait que, tout comme le Zeewijk , le Batavia avait sombré quelque part dans les Abrolhos. Les vestiges de l'épave qu'il
découvrit à proximité d'une des îles du groupe sud éveillèrent donc tout
naturellement son intérêt :
« Dans la partie sud-ouest, note-t-il, nous avons
découvert des madriers provenant de la membrure d'un grand
vaisseau et, comme l'équipage du Zeewijk a rapporté avoir vu dans ces parages
l'épave d'un bâtiment, ces vestiges doivent être, à n'en pas douter, ceux du Batavia. En conséquence, nous
avons donné à notre point d'ancrage temporaire le nom de Route du Batavia et au
groupe d'îles, celui de "groupe de Pelsaert". »
L'île près de laquelle furent retrouvés ces vestiges reçut
le nom d'« île de Pelsaert » et l'emplacement de la pièce de bois fut baptisé «
pointe de l'Épave ». L'épave en question consistait en « un épais madrier de
membrure, traversé d'un énorme boulon de fer rouillé qui, au premier contact,
fondit en un mince fil, la corrosion ayant fait son œuvre », à proximité d'une
« rangée de petits demijohns 21 de verre qui, depuis plus de deux siècles qu'ils attendaient là, s'étaient
partiellement enfouis dans le sol qui s'était accumulé autour d'eux, et
s'étaient remplis, à peu près jusqu'à la même hauteur, des débris des animaux
et des insectes qui y étaient entrés et y avaient péri ». Remontant vers le
nord, Stokes baptisa les îles du groupe médian « groupe de Pâques » parce qu'il
y avait accosté le dimanche de Pâques 1840 et le groupe le plus septentrional
reçut le nom d'îles Wallaby, à cause des marsupiaux dont il constata la
présence sur les deux îles les plus vastes du groupe 25 .
Le mystère de l'épave du Batavia se trouvait donc
élucidé, du moins aux yeux du grand public et, pendant un siècle de plus, l'île
qui venait de recevoir le nom de Pelsaert fut tenue pour celle où Cornelisz et
les autres avaient trouvé refuge après le naufrage. Mais les premiers comptes
rendus complets de la mutinerie, publiés en anglais - un pamphlet du xvii 6 siècle, dont la traduction parut dans un journal de Perth en 1897 26 -Jetèrent le doute. La configuration du « groupe de Pelsaert » ne correspondait
pas aux positions qui auraient dû être celles de l'île aux Traîtres, de l'île
aux Otaries et de celle de Wiebbe Hayes, dans l'hypothèse où l'île de Pelsaert
aurait été le Cimetière du Batavia 21 . En 1938, une expédition
menée par un journaliste du nom de Malcolm Uren tenta de résoudre cette énigme
en proposant comme QG de Jeronimus l'île la plus septentrionale du groupe de
Pelsaert. Mais cette nouvelle solution n'expliquait toujours pas tout,
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