L'archipel des hérétiques
voire deux cents, qui ont pu être jetés
sur les côtes de la Terre Australe.
La première de ces catastrophes se produisit en 1656. Le Vergulde Draeck (le « Dragon d'Or »), un retourschip d'Amsterdam,
vint s'échouer sur un récif à cinq kilomètres au large de la côte est, à
environ soixante-quinze kilomètres au nord de l'actuelle ville de Perth 13 .
Soixante-huit des membres de l'équipage parvinrent au rivage, et trois hommes
appartenant à l'équipage d'un bateau de sauvetage furent ensuite abandonnés
dans le même secteur 14 : ils s'étaient égarés à l'intérieur des
terres, en recherchant des rescapés. Quelques-uns durent survivre un certain
temps, car une série d'objets fabriqués par des mains humaines, et apparemment
d'origine hollandaise - entre autres, des planches provenant de la coque d'un
bateau, et un encensoir orné d'un dragon chinois, enroulé autour de son pied -,
furent retrouvés dans les terres 15 , non loin du site du naufrage,
postérieurement à la date de ce dernier.
Le Vergulde Draeck fut suivi en 1712 par le Zuyt-dorp 16 (« village du Sud », nom d'une bourgade de Zélande)
qui coula avec ses deux cents hommes. Pour comprendre ce qui lui était arrivé,
il fallut attendre 1920, année où l'on découvrit le site du naufrage, entre
Kalbarri et Shark Bay, un peu au nord des Abrolhos. Le bâtiment était venu se
fracasser contre cette même ligne continue de falaises qui avait découragé les
tentatives d'accostage de Pelsaert, quelque quatre-vingts ans plus tôt. Il
heurta les rochers par la poupe, chavira et se rompit en trois segments. Une
fois le fond de la coque éventré, les canons et la cargaison, qui
brinquebalaient de côté et d'autre dans les entreponts, et les mâts brisés ou
abattus durent provoquer autant de dégâts que la tempête elle-même. Bon nombre
des hommes d'équipage furent probablement écrasés par la chute des mâts et des
gréements, avant même que le navire ne s'immobilise et ne soit envahi par les
flots. Les autres sombrèrent dans les vagues démontées, comme ils tentaient de
gagner le rivage.
Il semble pourtant qu'une trentaine de naufragés aient
réussi à rejoindre les falaises, sans doute en s'agrippant à des tronçons de
mâts ou à des amas de gréements enchevêtrés, et que certains aient trouvé le
chemin de Wale Well, un puits autour duquel s'était installé un village
d'aborigènes abritant une population permanente d'environ deux cents âmes, à
quarante-cinq kilomètres de là, vers le nord 17 . En 1990, une équipe
qui explorait les environs de ce puits avec des détecteurs à métaux mit au jour
le couvercle d'une vieille boîte à tabac 18 en cuivre hollandaise,
orné d'une vue de la ville de Leyde. Elle avait probablement appartenu à l'un
des rescapés du Zuytdorp.
A notre connaissance, le troisième et dernier retourschip à avoir sombré dans les eaux australiennes fut le Zeewijk qui s'échoua
en 1727, à l'extrémité sud des Abrolhos de Houtman 19 . Environ deux
tiers des membres de l'équipage survécurent et établirent un campement, tandis
qu'une dizaine d'hommes, sous la conduite du maître timonier, tentaient de
rejoindre Java dans une chaloupe, qui ne parvint jamais à destination. Les
autres rescapés construisirent un sloop à partir de l'épave du Zeewijk et
réussirent à regagner Java dans cette embarcation 20 . À ce jour, nul
ne sait ce qu'il est advenu de la chaloupe et de ses passagers. Peut-être
ont-ils été eux aussi poussés vers les falaises de la Terre Australe... ?
En 1728, des rescapés provenant d'au moins quatre retourschepen avaient réussi à gagner la côte australienne. Du jour au
lendemain, ces hommes se retrouvèrent prisonniers d'un environnement totalement
inconnu d'eux, diamétralement opposé à tout ce qui leur était familier, sans le
moindre espoir de revoir un jour Batavia - et encore moins le sol natal.
Certains d'entre eux n'avaient pas la moindre idée de l'endroit où ils
pouvaient se trouver. A l'époque, on ignorait tout des populations indigènes,
de la flore et de la faune de cet étrange continent. Parmi les survivants,
rares étaient ceux qui soupçonnaient l'immensité des barrières physiques qui
les séparaient de leur destination. Ils durent pour la plupart mourir non loin
du site où ils avaient accosté, terrassés par la soif et la faim, ou massacrés
par les aborigènes, en attendant des secours qui ne vinrent jamais.
Ceux qui essayèrent de partir vers
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