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L'archipel des hérétiques

L'archipel des hérétiques

Titel: L'archipel des hérétiques Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mike Dash
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aveuglés par les embruns.
    Pelsaert se fraya un chemin jusqu'au poste de Jacobsz et y
trouva le capitaine, qui hurlait ses ordres à ses matelots 10 . En
dépit de sa relative méconnaissance de la navigation, le subrécargue avait
aussitôt pris la mesure du désastre.
    — Qu'avez-vous donc fait 11 ?! s'époumona-t-il en
direction de Jacobsz, en tâchant de couvrir le vacarme ambiant. C'est donc à
votre satanée négligence que nous devons de nous retrouver avec cette corde au
cou ?
    Et de fait, la position du Batavia était des plus
périlleuses. D'abord parce qu'il n'était pas seulement échoué sur le récif,
mais qu'il y était bloqué : le vent, qui gonflait toujours ses dix voiles
principales, le clouait d'autant plus solidement à son obstacle. Les énormes
madriers de la proue avaient éclaté lors de la collision et, bien qu'aucune
voie d'eau majeure ne se fût encore déclarée dans la carène, on aurait juré, à
en juger par les effroyables grincements de la coque, qu'elle s'apprêtait à
céder d'un instant à l'autre. Et pis : ils n'avaient plus aucune idée de leur
position. Selon les estimations du capitaine, le bateau aurait dû se trouver à
distance prudente de tout rivage ou de tout écueil connu, et jusque-là, aucun
des autres officiers du bord n'avait eu la moindre raison de mettre en doute
ses calculs, ni de les vérifier. Personne n'avait donc la moindre idée des
coordonnées des récifs auxquels ils s'étaient heurtés, ni de l'étendue des
hauts-fonds environnants.
    À présent, des nuages masquaient la lune, et un fort vent
de sud-ouest fouettait la mer aux alentours, mais ils lancèrent aussitôt les
opérations de sauvetage du bâtiment. Il fallait coûte que coûte réduire les
tensions qui s'exerçaient sur la coque. Les hommes d'équipage s'élancèrent dans
les gréements pour affaler les mille mètres carrés de toile du vaisseau, tandis
qu'en bas, dans l'entrepont des canons, le maître d'équipage et ses hommes
harcelaient le reste des marins, les pressant de jeter par-dessus bord tout ce
qui pouvait s'arracher du sol. Ils n'eurent guère à faire usage de leurs fouets
- des gar-cettes enduites de goudron dont ils cinglaient le dos des
récalcitrants. Tous les matelots du Batavia firent aussitôt diligence,
sachant que, si cette mesure vitale tardait à être appliquée, ils risquaient de
ne jamais plus voir poindre l'aube.
    Les canonniers du Batavia attaquèrent à la hache
les câbles qui maintenaient leurs canons au sol. Soudain libres de toute
entrave, les lourdes pièces de bronze et de fer furent poussées vers les
canonnières et précipitées à la mer, délestant le navire de près de trente
tonnes. Une avalanche de caisses, de cordages, et d'autres pièces d'équipement
prirent le même chemin. Sur ces entrefaites, une autre équipe amena sur le pont
la plus légère des huit ancres 12 du Batavia, qui fut amarrée
à une longue corde. Au matin, on la jetterait depuis la poupe dans les eaux les
plus profondes et son câble serait assujetti à un cabestan, dans l'espoir de
libérer le navire des récifs, en le tirant en arrière.
    Le vent de l'aube se mit à fouetter les ponts avec une
férocité redoublée et un véritable déluge s'abattit sur le navire. A la poupe,
Pelsaert demanda que l'on jette la sonde - un plomb cylindrique enfilé au bout
d'une longue ligne graduée, qui permettait de mesurer la profondeur de l'eau
autour de la coque 13 . Sans perdre une seconde, le sondeur explora
les fonds d'alentour. Il n'y avait que quatre mètres de fond autour de la
proue, et un maximum de six à l'arrière - soit à peine plus que le tirant d'eau
moyen d'un indiaman (5,5 m).
    C'était une découverte terrifiante. Jusque-là, tous
priaient pour que le Batavia ait eu la bonne fortune de s'échouer par
marée basse, auquel cas il aurait été possible de le remettre à flot à la
faveur de la marée montante. Mais dans le cas contraire, si la marée était
haute, il y avait si peu de fond autour de la coque, qu'en se retirant, les
eaux la laisseraient complètement immobilisée sur le récif. Il faudrait
renoncer à la tirer par l'arrière à l'aide de l'ancre -ce qui, à sec, ne ferait
qu'aggraver les tensions qui s'exerçaient sur la carène et risquait même de la
briser.
    Ayant mené à leur terme les opérations de délestage, il ne
leur restait donc plus qu'à espérer que la marée monterait. Ce ne fut qu'entre
5 et 6 heures du matin qu'ils comprirent que le sort

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