L’armée du roi de France
est libre de débarquer puis de traverser le royaume de part en part ? À quoi bon, si la chevalerie française se montre incapable de l’emporter en bataille rangée ?
L’œuvre accomplie dans les décennies qui encadrent 1300 demeure considérable. Les derniers Capétiens directs, certes, n’ont pas été très heureux à la guerre. Les échecs ont succédé aux désastres. En dehors de la Navarre, qui reste dans l’orbite capétienne jusqu’en 1328, la seule acquisition territoriale durable est la ville de Lyon, définitivement arrachée à l’Empire ; mais ce sont les juristes qui ont permis sa réunion au royaume. La guerre n’en a pas moins permis un renforcement spectaculaire du pouvoir royal. À cet égard, le règne dePhilippe le Bel polarise nécessairement l’attention. On peut poser l’hypothèse que Philippe a recherché délibérément la guerre pour créer un état d’exception suspendant les pratiques habituelles. Face à des adversaires peu préparés, les opérations donnent au départ des résultats satisfaisants. Servie par une propagande d’autant plus habile qu’elle est neuve dans ses formes, une conjoncture favorable offre l’avantage au roi. Le désastre de Courtrai le plonge en revanche dans les affres. Une fois l’humiliation difficilement vengée à Mons-en-Pévèle, Philippe renonce à la guerre. C’est trop tard : la détresse financière marque de son empreinte toute la fin de son règne.
Il n’est pas inutile de noter que, chacun à sa manière, SaintLouis etPhilippe III ont également su mettre à profit leurs expéditions pour asseoir leur autorité. Tout un apparat entoure traditionnellement les expéditions royales : la levée de l’oriflamme à Saint-Denis, les adoubements des princes capétiens et de centaines de jeunes nobles, le départ de la flotte d’Aigues-Mortes, les dévotions qui marquent le retour du roi dans sa capitale sont autant d’occasions d’exalter la royauté en armes. Surtout, les trois croisades que conduisent SaintLouis etPhilippe III placent le roi à la tête de la noblesse du royaume, tout en faisant de lui le recours par excellence de la chrétienté et le soutien le plus qualifié du Saint-Siège. Paradoxalement, leur échec n’entame nullement la grandeur de la royauté capétienne. Au contraire : Saint Louis est canonisé en 1297. L’Église, certes, ne lui reconnaît pas la qualité de martyr, car il est mort à Tunis victime de la maladie et non des combats. Mais comment soutenir que ce n’est pas le roi croisé qui se trouve porté sur les autels, quelques années après la chute des derniers établissements chrétiens de Terre sainte ?
Les croisades, de plus, habituent la noblesse à suivre le roi outre-mer. Chefs suprêmes des armées croisées, SaintLouis etPhilippe III sont habilités à commander, à choisir les objectifs, à faire respecter la discipline. De fait, le renforcement de son emprise sur les barons et sur la noblesse est la manifestation la plus concrète de l’essor de la royauté au XIII e siècle. Vers 1230, au début du règne de Saint Louis, le principe d’un service limité à quarante jours est bien ancré. Un roi mineur ou affaibli est dans l’impossibilité de faire campagne au-delà. Un demi-siècle plus tard, tout a changé. Le Capétien n’est plus seulement avant tout le seigneur de son domaine ; il est pleinement roi, et, selon la formule célèbre « empereur dans son royaume ». Les barons se pressent autour de lui. Les princes venus de l’Empire côtoient les ducs de Bourgogne et de Bretagne, les comtes de Rodez et d’Armagnac. Il est vrai qu’entre-temps la plupart des grands fiefs sont passés entre les mains des cadets de la famille capétienne. Néanmoins, même si l’on descend au niveau de la noblesse moyenne et de la simple chevalerie, le constat est identique. Le service du roi fait désormais pleinement partie de l’idéologie des chevaliers. Il y a des dérobades, des réticences, des résistances, mais le roi ne manque jamais de combattants. Il y a mieux : dès avant Courtrai, mais surtout après, nobles et hommes d’armes du Midi sont appelés à traverser le royaume pour servir au nord, sur les frontières de Flandre. Au moins de ce point de vue, l’unité du royaume, ou en tout cas de sa noblesse, est en marche.
Le service du roi : c’est sur l’épanouissement de cette notion aux alentours de 1300 qu’il faut conclure. Bien entendu, les
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