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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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Voici le Tigre. Demain nous remonterons son cours jusqu’à sa source.
    — Tu ne veux pas répondre à ma question.
    — Cheirosophos est Spartiate, et je suis athénien. Nos cités se sont affrontées pendant trente ans dans un conflit sanglant et dévastateur qui a vu la fleur de la jeunesse fauchée, les champs brûlés, les villes pillées, les navires coulés avec leurs équipages. Vengeances, représailles, viols, tortures…
    — Je sais ce qu’est la guerre.
    — Et pourtant, nous sommes amis, nous nous protégeons l’un l’autre, nous nous battons pour la même cause avec le même acharnement et la même passion.
    — Et quelle est cette cause ?
    — Sauver l’armée, sauver les Dix Mille. Ils constituent notre patrie commune, chacun de nous est le sujet et l’objet du combat, de la valeur, du courage. Tu comprends ?
    — Je comprends, mais je n’éprouve pas la même confiance que toi.
    — Nous sommes dans l’Empire perse. Juges-tu étrange qu’on essaie de nous anéantir ? Les Arméniens étaient menés par des officiers perses et obéissaient à un satrape. Il se nomme Tiribaze. Ils continueront de nous attaquer, mais nous sommes prêts.
    — Je le sais. Je ne suis qu’une femme ignare, mais n’oublie pas que les femmes voient et sentent ce qui échappe aux hommes. Quand il n’y aura plus d’ennemis capables de vous affronter, il en surgira d’autres là où tu ne l’aurais jamais imaginé.
    — Que veux-tu dire ?
    — Rien. Mais ce jour-là, souviens-toi de mes paroles. »
    Je contemplais à ses côtés la lune qui se levait, tandis que retentissaient dans le campement les hurlements et les lazzis, les cris de joie des filles, les appels des sentinelles retentissant d’un mamelon à l’autre, les noms des camarades qui s’apostrophaient afin de refouler l’obscurité, de faire savoir aux forces obscures et invisibles de la nuit que le sommeil ne plierait pas leur obstination.
    Puis les bruits de la fête finirent par s’atténuer et par mourir. Quand le silence s’abattit sur le campement, la sonnerie de la trompette résonna, solitaire, et la relève s’opéra.
    Xéno me conduisit sous sa tente et m’aima avec passion, mais dans un silence total. Pas un mot, pas un soupir. Les paroles que j’avais prononcées avaient l’allure d’une prophétie lugubre, et il n’en avait pas d’autres à leur opposer, pas même des mots d’amour.
    Plus tard, je le vis se lever et, muni d’une coupe en argent remplie de vin, gagner la rivière que nous avions laissée derrière nous. Il offrit une libation à la divinité tourbillonnante parce qu’il y avait répandu du sang, contaminant ses eaux très pures.
    Cette rivière aussi impétueuse qu’un taureau sauvage se nommait Centritès. Nous nous en éloignâmes le lendemain et nous élançâmes sur le haut plateau, gravissant une pente douce, presque imperceptible, bien que l’air se rafraîchit et que notre souffle se fît plus court.
    Lystra marchait à présent sans trop souffrir : le sol était couvert d’une herbe sèche que les troupeaux avaient broutée au point de la réduire à l’état d’un épais tapis aux reflets changeants. Çà et là poussait de l’avoine, dont les petits épis resplendissaient comme de l’or, ainsi qu’une plante curieuse : ses semences avaient la forme de petits disques d’argent, pareils aux pièces de monnaie des Grecs. La colonne avançait rapidement, et nous parcourûmes une étape entière du matin jusqu’au soir sans rencontrer le moindre danger. Xéno et Lykios de Syracuse veillaient avec leurs éclaireurs, galopant de l’avant-garde à l’arrière-garde afin de prévenir toute attaque.
    Tout en cheminant, les guerriers examinaient ce pays qu’aucun homme de leur race n’avait jamais vu. La marche paraissait facile, paisible, agréable, et je commençais à espérer que nous atteindrions bientôt notre destination.
    Cette destination n’était autre que la mer.
    Une mer intérieure, au nord, enfermée entre des terres, une mer sur laquelle donnaient bon nombre de villes grecques, dotée de ports et de navires qui nous permettraient de nous rendre n’importe où.
    Y compris chez nous.
    Xéno me l’avait dit, lui qui connaissait toutes les terres, les mers, les montagnes et les fleuves, les vieilles légendes et les paroles des sages, lui qui écrivait, ne cessait d’écrire chaque nuit, à la lumière de sa lampe.
    Quelques jours plus tard, nous parvînmes à

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