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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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la source du Tigre. Je m’assis près du petit ruisseau qui coulait d’un rocher, aussi limpide que l’air après un orage. On aurait dit un enfant : impatient, turbulent, changeant. Mais je savais ce qu’il deviendrait une fois adulte, car je l’avais vu : un fleuve énorme, placide, majestueux, assez fort et assez puissant pour porter sur son dos des navires et ces barques étranges en forme de corbeille.
    Je me lavai le visage et les jambes dans l’eau glacée, et en fus toute ragaillardie. J’invitai Lystra à m’imiter : cela revigorerait le bébé et lui porterait bonheur car cette eau nourrissait des millions d’individus en irriguant les champs et en remplissant les filets des pêcheurs. Nous bûmes à longues gorgées son eau pure que nous sentîmes couler en nous telle une lymphe vitale. Quand le monde était né, ses eaux devaient toutes être ainsi.
    Nous traversâmes une autre rivière sur les bords de laquelle il y avait quantité de villages. Nous vîmes alors arriver des messagers que le gouverneur perse avait dépêchés pour nous dire qu’il disposait d’interprètes et qu’il voulait conférer avec nos généraux.
    J’exhortai aussitôt Xéno à ne pas accepter, mais il me répondit en souriant : « Tu nous crois donc aussi stupides ? Tu ne penses pas que nous avons appris la leçon ? Ne t’inquiète pas, cette fois tout se passera bien. »
    De fait, l’armée entière se rendit à cette rencontre, puisque la grande plaine le permettait. Les hommes s’alignèrent ainsi qu’ils en avaient l’habitude sous les ordres de Cléarque : cinq rangs sur un front de deux mille pas, leurs boucliers bien astiqués, coiffés de leur casque à crête, armés de leurs lances dont le fer semblait perforer le ciel.
    Sophos, Xanthi, Timasion, Cléanor, Agasias, à cheval, se placèrent à portée de voix. Sophos, légèrement en avant.
    Derrière eux, à dix pas, Xéno, Lykios, Archagoras, Aristonyme… et Néon.
    Venait ensuite un petit détachement de cavaliers tout aussi resplendissants.
    Un gros contingent de troupes arméniennes nous faisait face, celles-là mêmes peut-être que nous avions affrontées sur le Centritès. En tête, Tiribaze, le satrape : il portait un couvre-chef triangulaire et mou, une barbe très noire et soigneusement bouclée, une épée en or à son côté, et commandait un escadron de magnifiques cavaliers.
    Un interprète avança. Dans un grec parfait trahissant qu’il venait d’une des villes situées au bord de la mer septentrionale, qui ne devaient plus être très éloignées, il déclara :
    « Je m’exprime au nom de Tiribaze, satrape d’Arménie et œil du Grand Roi, l’homme qui l’aide à monter à cheval. Tiribaze m’envoie vous dire : n’incendiez pas les villages, ne brûlez pas les maisons, contentez-vous de prendre la nourriture dont vous avez besoin, et nous vous laisserons passer sans vous attaquer. »
    Sophos se tourna vers ses officiers supérieurs, qui opinèrent tous du bonnet. Il s’approcha alors de l’interprète : « Tu rapporteras à Tiribaze, satrape d’Arménie et œil du Grand Roi, l’homme qui l’aide à monter à cheval, que sa proposition nous convient et que nous entendons la respecter. Il n’aura rien à craindre de nous. Mais qu’il regarde bien ces hommes alignés et qu’il se souvienne du dur châtiment qu’ils ont infligé à tous ceux qui les ont attaqués, pour le cas où il lui viendrait l’envie d’enfreindre notre pacte. »
    L’interprète s’inclina puis alla rapporter à son maître les propos de Sophos. Aussitôt après, il annonça d’un signe que le traité était conclu, et l’armée se mit en route en effectuant un demi-tour parfait. Les Arméniens demeurèrent à leur place. Plus tard, les éclaireurs nous apprirent qu’ils nous suivaient à une distance d’environ dix stades. Nul doute, ils n’avaient pas confiance en nous.
    Nous avançâmes pendant plusieurs jours, les Arméniens sur nos talons, dans la plaine qui ne cessait de s’élever. Un matin, je me réveillai à l’aube et découvris un spectacle d’une beauté dépassant toute imagination. Devant moi, des montagnes s’étendaient à perte de vue, dominées par trois ou quatre pics immaculés qui se détachaient sur un ciel bleu vif. Un instant, les rayons de soleil se posèrent sur ces cimes : elles étincelèrent tels des cristaux, telles des pierres précieuses au-dessus de l’immense étendue montagneuse

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