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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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l’entendit et lui apparut soudain, pendant un après-midi de printemps, aussi resplendissant que le soleil.
    « Tu m’as défié ? » interrogea-t-il d’une voix courroucée.
    Le satyre ne recula pas. « Telle n’était pas mon intention, mais je suis fier de ma musique et ne crains aucun rival. Pas même toi, ô Resplendissant.
    — On ne peut défier un dieu sans courir de grave risque, car si tu l’emportais, ta gloire serait démesurée. Mais si tu perdais, ton châtiment devrait être approprié.
    — Quel serait le châtiment ?
    — Tu serais écorché vif. Et je m’en chargerais moi-même. » Sur ces mots, il montra un poignard très pointu, fait d’un métal merveilleux, aveuglant.
    « Pardonne-moi, ô Resplendissant. Mais qui me garantit l’impartialité du jugement ? Tu ne risques rien. Moi, je risque ma vie et encours une mort atroce.
    — Nos juges seront les neuf Muses, les divinités suprêmes de l’harmonie, de la musique, de la danse, de la poésie, de toutes les manifestations les plus élevées des hommes et des dieux, les seules à pouvoir réunir le monde des mortels et le monde des immortels. Leur nombre est impair, leur verdict sera donc déterminant. »
    Fasciné par la pensée de se mesurer à un dieu, Marsyas accepta les termes du défi. À moins que le dieu, jaloux de son habileté, ne lui ôtât toute raison.
    Le concours eut lieu le lendemain, à la tombée du soir, au sommet du mont Argée encore enneigé.
    Marsyas commença. Il referma les lèvres sur sa flûte en roseau et y souffla la plus suave et la plus intense des mélodies. Les oiseaux cessèrent de gazouiller, le vent tomba, un grand calme s’abattit sur les bois et les prés. Fascinées, les créatures de la forêt écoutaient le chant du satyre, la musique enchanteresse qui reproduisait leurs voix, les sons et les bruissements des arbres, le ruissellement argentin des cascades et l’écho des gouttes qui tombaient dans les grottes, le trille des alouettes et le gémissement du petit duc, la symphonie de la pluie d’avril sur les feuilles et les branches. L’écho réfléchissait ce chant, le remodelait et le multipliait sur les contreforts et dans les ravins de la grande montagne solitaire, et la mère Terre en vibrait jusque dans ses recoins les plus secrets.
    La flûte de Marsyas émit un dernier son aigu qui s’infléchit en une note plus grave et plus sombre, puis en un trémolo. Enfin, le silence se fit.
    Ce fut alors le tour d’Apollon. On distinguait à peine son image dans le halo flamboyant qui l’entourait, mais sa cithare apparut soudain dans sa main, ses doigts se posèrent sur les cordes et la musique se déploya.
    Marsyas connaissait le son de la cithare, il savait que sa flûte possédait plus de couleurs et de tonalités, plus de pics et de profondeurs, cependant l’instrument du dieu concentrait tout cela et beaucoup plus encore en une seule corde. Il entendit se déchaîner le fracas de la mer et le claquement du tonnerre avec une puissance qui secoua l’Argée, tandis que des nuées d’oiseaux abandonnaient la chevelure des arbres dans un grand crépitement d’ailes. Lorsque ce grondement cessa, une autre corde vibra, et une autre encore, leurs vibrations se mêlèrent et se chevauchèrent en une poursuite haletante, s’unirent dans un chœur d’une netteté admirable, d’une puissance majestueuse. Les sonneries se succédaient et se fondaient de plus en plus rapidement, dans des éclaboussures iridescentes d’argent martelé, dans de sombres échos de cors, dans des emballements lumineux d’aigus qui s’étiraient sur de solennelles étendues sonores.
    Marsyas lui-même en fut envoûté, ses yeux se remplirent de larmes et d’émerveillement. Ce fut sa condamnation. Le regard du dieu avait conservé son impassibilité, alors que tout se déversait dans les yeux sombres du satyre. Les Muses n’hésitèrent pas à attribuer la victoire au dieu, à l’exception de la belle Terpsichore, maîtresse de la danse. Émue par le sort de la créature des bois, elle ne s’unit pas au vote de ses compagnes, encourant la colère du dieu lumineux. Mais son geste n’empêcha pas la punition cruelle de l’être qui avait osé lancer un défi sacrilège.
    Deux génies ailés apparurent soudain et attachèrent Marsyas à la branche d’un grand arbre, immobilisant ses pieds pour l’empêcher de fuir. En vain, il implora la pitié. Le dieu l’écorcha vif avec un détachement

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