Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
Vom Netzwerk:
et j’en fus impressionnée. Il était un peu plus âgé que Xéno, environ la trentaine, avait de longs cheveux blonds qui projetaient des ombres sur son visage, ne laissant transparaître que ses yeux gris-bleu, un regard si pénétrant qu’il semblait aiguisé. Il avait un corps sec et musclé qu’il aimait exhiber, des bras puissants, des mains fines, de musicien plus que de guerrier. Et pourtant, lorsque ses doigts se refermaient sur la poignée de son épée ou sur sa lance, on devinait leur terrible force.
    Le soir, il n’était pas rare de le voir errer dans le campement, sa lance dans une main, une coupe de vin dans l’autre, s’offrant aux regards admiratifs des femmes aussi bien que des hommes. Il ne portait sur son corps qu’un court manteau de toile légère, ouvert sur le côté, et laissait sur son passage un sillage de parfum oriental. Mais lorsque les combats commencèrent, il se transforma brutalement en une bête sanguinaire. Cela se produisit plusieurs mois après que l’armée se fut rassemblée à Sardes.
    Souvent, je me suis demandé pourquoi Xéno nourrissait tant de haine pour Ménon. Je sais avec certitude que le jeune général thessalien ne l’affronta jamais ouvertement, qu’aucune querelle ni bagarre ne les opposèrent. J’ai fini par croire que j’avais été la cause involontaire de ce sentiment.
    Un soir, alors que les soldats plantaient leur tente pour la nuit, j’allai puiser de l’eau à une rivière, une amphore sur la tête, comme lorsque je me rendais au puits de Beth Qadà. Ménon surgit sur la rive, non loin de là, et, tandis que je plongeais l’amphore dans l’eau, il dégrafa son manteau, apparaissant dans toute sa nudité. J’ignore s’il m’observait, car je baissai aussitôt la tête, cependant je sentis son regard peser sur moi. Une fois l’amphore remplie, je tournai les talons. C’est alors qu’il m’appela.
    Je m’immobilisai, entendant le clapotement de l’eau dans laquelle il pénétrait, mais je me gardai de pivoter. « Déshabille-toi, dit-il. Baigne-toi avec moi. » J’hésitai quelques instants, non parce que je désirais partager son intimité : j’étais intimidée par son rang, par son prestige, je voulais au moins lui montrer que je prêtais l’oreille à ses propos.
    Sans doute Xéno assista-t-il à cette scène à mon insu. Sans doute nourrit-il des soupçons. Il ne me le révéla jamais, il était trop orgueilleux pour cela. Mais je le compris à la nervosité qui s’empara de lui ce soir-là.
    Non loin de là, dans un endroit séparé, campait le reste des troupes de Cyrus : des milliers d’Asiatiques venus de la côte et de l’intérieur, des fantassins et des cavaliers, une bande colorée d’individus hétéroclites qui parlaient diverses langues et obéissaient à leurs chefs tribaux. Cyrus ne leur accordait aucune attention : il ne voyait que leur chef, un géant hirsute dénommé Ariée qui arborait toujours la même tunique de cuir et dont les tresses atteignaient sa taille.
    Cet homme dégageait une forte odeur et le savait sans doute : il avait coutume de s’entretenir avec Cyrus à une distance opportune.
    Ménon de Thessalie le fréquentait, il se rendait souvent dans le campement des Asiatiques. Xéno prétendait que les deux hommes avaient une liaison, bref qu’ils étaient amants. « Ménon couche avec un Barbare ! s’écriait-il. Tu te rends compte ! »
    Ce n’était pas le fait qu’il couchait avec un homme qui le scandalisait, mais le fait que cet homme était un Barbare. « Je suis barbare, moi aussi, m’exclamai-je, et pourtant tu couches avec moi et tu as l’air d’apprécier cela.
    — Ce n’est pas la même chose. Tu es une femme ! »
    Quelle incohérence ! pensais-je. Il me fallut un certain temps pour comprendre. Xéno et ses semblables trouvaient normal que deux hommes fassent l’amour. Mais ils devaient être tous deux grecs : coucher avec un Barbare était dégradant. Il accusait donc Ménon de faire l’amour avec un homme qui sentait mauvais, qui ne se lavait pas tous les jours, qui n’utilisait ni le strigile ni le rasoir. C’était, à ses yeux, une question de civilisation. Sans doute voulait-il signifier, par cette insinuation, que Ménon était la femme d’un être hirsute qui sentait le bouc. Il entendait souiller sa virilité parce qu’il devinait en lui un rival.
    Bien que Ménon fût le plus bel homme que j’eusse jamais vu de toute mon existence, je

Weitere Kostenlose Bücher