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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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séparait de leur destination.
    Une fois encore, j’avais l’impression d’assister à un prodige : ces hommes épuisés arrachaient à leurs corps la moindre étincelle d’énergie. Je commençais à croire à la légende des capes rouges et me persuadais que chacun de ces guerriers valait dix Asiatiques.
    Nous atteignîmes, à la tombée du soir, un groupe de villages éparpillés dans une plaine fertile. Il y avait là des centaines de palmiers chargés de dattes, des dizaines de greniers de forme ovale regorgeant de blé, d’orge, d’épeautre et de vin de palme. Les officiers distribuèrent des ordres sévères pour éviter que les hommes ne se jettent sur les vivres et ne tombent malades. On établit des rations modestes, et pourtant nombre de soldats furent pris de vomissements ou de violents maux de tête.
    Les médecins en attribuèrent la faute au vin, auquel ils n’étaient pas habitués, ainsi qu’aux cœurs de palmier, si durs et si fibreux qu’ils étaient difficiles à digérer. Mais hormis ces quelques incidents, les guerriers purent se rassasier et retrouvèrent leurs forces.
    Plus d’une fois je me suis demandé pourquoi le Grand Roi avait commis pareille erreur. Il suffisait d’attendre, de tergiverser, de semer le trouble : la faim et l’épuisement seraient venus à bout de ses ennemis. Pourquoi agissait-il de la sorte ? Je ne voyais qu’une explication : il estimait que la résistance des capes rouges ne connaissait pas de limites, que rien ne les plierait. De même qu’il s’abstint d’empoisonner vivres et eau parce qu’il admirait leur valeur et leur courage, jugeant qu’elles ne méritaient pas une mort aussi indigne.
    Voilà ce que pensait Xéno. Peut-être était-il dans le vrai. Quoi qu’il en fût, une ambassade se présenta le lendemain, une délégation prestigieuse qui comptait parmi ses membres le beau-frère du Grand Roi ainsi que Tissapherne, l’un de ses généraux les plus brillants, qui s’était distingué dans la bataille contre Cyrus et avait été nommé à la tête de la Lydie, province que gouvernait auparavant le prince défunt. Ils étaient somptueusement vêtus de culottes en gaze fine et montés sur de magnifiques chevaux aux harnachements d’or et d’argent ; des cavaliers des steppes coiffés de casques en cuir, munis de longs arcs en bandoulière, les escortaient.
    L’entretien fut cordial, me raconta Xéno. Tissapherne et ses deux accompagnateurs serrèrent la main de Cléarque et des officiers supérieurs. Après quoi, on aborda les négociations. Tissapherne déclara que le Grand Roi était bien disposé à l’égard des Dix Mille, qu’il était prêt à les laisser partir en dépit de l’avis contraire d’un certain nombre de ses conseillers, lesquels craignaient que cette décision constituât un dangereux précédent. Ils devraient toutefois accepter ses conditions.
    Cléarque répondit alors : « Nous ignorions le véritable but de l’expédition de Cyrus… » En prononçant ces mots, il mentait et disait la vérité en même temps. Il mentait parce qu’il avait toujours connu le dessein de Cyrus, il disait la vérité car la plupart des soldats ne savaient pas pourquoi ils avaient été enrôlés. « Mais lorsque nous l’apprîmes, il nous parut lâche d’abandonner l’homme qui nous avait engagés et nourris. Voilà pourquoi nous nous sommes battus loyalement sous ses ordres et avons remporté la victoire là où nous étions alignés. Maintenant que Cyrus est mort, nous sommes déliés de tout engagement et redevenons nos seuls maîtres. Nous n’avons qu’un seul désir : rentrer chez nous. Le reste ne nous intéresse pas. Si vous ne vous mettez pas en travers de notre chemin, tout se passera bien. Si vous tentez de nous barrer la route, nous nous battrons jusqu’au bout de nos forces. Et vous savez ce que j’entends par là. »
    Les messagers se dévisagèrent tandis que l’interprète traduisait. Puis Tissapherne déclara : « Je vous l’ai dit, nous acceptons que vous rentriez chez vous à condition que vous ne vous livriez ni au pillage ni aux abus. Vous achèterez votre nourriture dans les marchés.
    — Et s’il n’y a pas de marchés ?
    — Vous pourrez prendre des vivres sur place, mais seulement le strict nécessaire, et sous notre surveillance. Que répondez-vous ? »
    Cléarque et ses officiers se retirèrent pour délibérer. En réalité, leur décision était déjà prise, étant

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