L'armée perdue
donné que les conditions des Perses étaient raisonnables. Leur réponse fut donc :
« Nous acceptons.
— Fort bien, dit Tissapherne. Nous allons rejoindre le Roi afin de ratifier ce traité. Dès que nous aurons recueilli son autorisation, nous reviendrons. Vous pourrez entamer alors votre voyage de retour. Je vous accompagnerai car je dois gagner moi-même ma province. En attendant, ne quittez pas ce campement, sinon notre accord sera caduc.
— J’espère que vous ne succomberez pas à la tentation de nous tendre un piège, lança Cléarque d’un ton menaçant. Ce serait une mauvaise affaire pour chacun d’entre nous. »
Tissapherne sourit, dévoilant des dents éclatantes sous sa moustache noire : « Il serait bon de nous faire confiance mutuellement avant d’entreprendre ensemble un voyage aussi long, tu ne crois pas ? »
Sur ces mots, il monta à cheval et disparut.
Cléarque se tourna vers ses hommes et leur demanda : « Qu’en pensez-vous ? » Xéno répondit qu’il approuvait ce plan, d’autant plus qu’ils n’avaient pas le choix, mais qu’il s’en remettait à la décision des officiers. L’un après l’autre, ceux-ci se déclarèrent prêts à accepter les conditions de Tissapherne.
« Alors attendons, dit le général en chef.
— Nous pouvons bien attendre, répliqua Ménon de Thessalie, mais pas trop. » Et il s’en alla.
Trois jours s’écoulèrent. Comme Tissapherne ne réapparaissait pas, des inquiétudes commencèrent à naître parmi les soldats. Lorsque j’allais puiser de l’eau, Xéno m’accompagnait, parce qu’il redoutait une attaque. La confiance qu’il avait dans les bonnes intentions des Perses vacillait peu à peu. Plus le temps passait, plus les craintes se multipliaient.
Je rendis visite à Mélissa, que je n’avais pas vue depuis plusieurs jours : elle était bien installée dans sa tente, servie par deux esclaves.
« Tu as trouvé un nouvel ami ? demandai-je.
— J’ai trouvé celui que je cherchais.
— Ménon ? »
Elle acquiesça avec un sourire.
« Incroyable ! Quand cela est-il arrivé ?
— Le soir où les messagers se sont présentés. Après le conseil d’état-major, il est passé devant ma tente en regagnant ses quartiers. Je l’ai invité à entrer et lui ai offert une boisson fraîche. Une invitation difficile à décliner, avec cette chaleur… Du vin de palme allongé et aromatisé à la menthe. J’ai trouvé au campement une amphore poreuse, grâce à laquelle j’obtiens une température glaciale, ou presque.
— Comment t’y prends-tu ?
— C’est simple. Ces amphores sont fabriquées avec une pâte grossière et cuites à haute température. Il suffit de les exposer au courant d’air et de les mouiller sans cesse. Cela refroidit leur contenu.
— Je croyais que tu le séduirais avec d’autres armes…
— Avec ça ? interrogea-t-elle en touchant son pubis. Après… après qu’il s’est assis et détendu, après qu’il a goûté cette boisson extraordinairement fraîche et désaltérante. Après que je l’ai lavé avec une éponge douce et séché dans un drap de lin fin sentant la lavande…
— Je ne crois pas qu’il existe d’homme capable de te résister. Tu conquerrais le Grand Roi en personne.
— J’ai une certaine expérience… Ménon a cédé quand j’ai commencé à le caresser, mais il ne s’est jamais abandonné totalement. Il est incroyablement soupçonneux et méfiant. Son passé dissimule sans doute de terribles événements.
— Il a dormi avec toi ?
— Une seule nuit. Nu, mais l’épée à son côté. Il l’a pointée contre ma gorge quand je me suis levée pour boire. Tu avais raison, on dirait un léopard. Il est évident qu’il pourrait tuer aussi facilement que boire un verre d’eau. Tuer n’importe qui, sans la moindre distinction.
— Fais attention.
— Et pourtant il a quelque chose de mystérieux qui me fascine. Sa férocité glaciale et soudaine. Il a développé une agressivité sans limites qui est, à l’évidence, la conséquence de souffrances et de peurs tout aussi illimitées. Cette nuit-là, je l’ai entendu crier dans son sommeil, peu avant l’aube, au moment où l’on fait ces rêves dont on se souvient au réveil. Un cri inhumain. »
En cet instant précis, Mélissa me parut une femme admirable : elle était non seulement dotée d’un corps et d’un visage parfaits, mais aussi de sentiments riches et d’un
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