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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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chèvres, quelques chameaux, et, partout, des poules et des oies.
    À la tombée du soir, un groupe d’éclaireurs remarqua un grand troupeau de chevaux au pâturage. Nous en conclûmes que l’armée du Grand Roi bivouaquait non loin de là. Mais Cléarque refusa de se retirer afin que l’ennemi n’imaginât pas qu’il avait peur.
    Pendant toute la nuit, on entendit des appels et assista à de fausses alertes. Au moindre bruit, au hennissement d’un cheval ou à l’aboiement d’un chien, les hommes se levaient, s’armaient et s’agitaient. Affamés, affaiblis par l’effort, extrêmement tendus, ils réagissaient avec une promptitude excessive, courant le risque d’être surpris par une attaque et de ne pas être en mesure d’y faire face.
    Les conséquences qu’entraînaient la faim et le manque de sommeil préoccupaient Xéno. Nous n’avions qu’une seule protection, je m’en rendis compte alors : la légende des guerriers à cape rouge. En réalité, nos redoutables guerriers avaient peur de l’obscurité d’une nuit sans lune, en l’absence de bois pour les feux et d’huile pour les lampes. Ils avaient peur de l’inconnu.
    Alignés en rase campagne, à la lumière du soleil, devant l’ennemi, ils étaient prêts à puiser dans leur courage et dans leurs forces pour affronter le danger. Seuls, dans le noir, au cœur d’un pays ennemi, ignorant d’où la mort viendrait, ils se montraient vulnérables et effrayés.
    Cléarque s’en rendit compte : vers minuit, il envoya un héraut annoncer qu’un âne s’était échappé et qu’il avait semé le désordre dans le campement. Maintenant, une double rangée de sentinelles veillait, et l’on pouvait donc dormir tranquillement.
    La voix du héraut était la voix du général, de l’homme qui veillait alors que les autres dormaient, de l’homme qui jeûnait, qui souffrait de la faim et des efforts, mais qui disposait toujours d’un plan de secours, d’une issue, d’une solution de réserve en mesure de chasser la panique et d’apaiser les esprits.
    Le calme s’abattit bientôt sur le campement. On alluma quelques feux et nombre de soldats parvinrent à se reposer.
    Je pensai à Mélissa. Où était-elle en cet instant précis ? Son défenseur l’avait-il rejointe ? Avait-il apporté une corbeille de têtes coupées et les avait-il disposées devant sa tente ? Certainement pas. Les têtes étaient restées dans le campement abandonné. Aucun désir n’avait survécu dans leur regard vitreux, et leur apparence humaine s’achevait là où Ménon de Thessalie l’avait décidé.
    Où était Ménon ? Son corps impeccable devait être, lui aussi, souillé et négligé. Mélissa n’aurait pas eu de léopard à caresser.
    Je sentis Xéno s’agiter dans son sommeil. Il songeait lui aussi à l’avenir, se demandait peut-être combien de temps il lui restait et à quel genre de mort il lui faudrait se préparer.
    Pour ma part, je plongeai dans le sommeil et dormis, enveloppée dans sa chaleur, comme toujours. La mort ne me concernait pas et j’étais persuadée que mon amour éloignerait toute menace de l’homme qui reposait à mes côtés.
    Ce n’était peut-être qu’un souhait, que la nuit sans lune et l’air stagnant de la terre humide engloutiraient. Pourtant, il se produisit un miracle au lever du soleil. Déjà armé, Xéno me réveilla et me dit, l’air incrédule : « Le Roi demande une trêve ! »
    Cela semblait impossible, et pourtant c’était vrai.
    « Sophos et moi proposions nos services au général en chef quand un des nôtres a annoncé une visite.
    “Une visite ? a répété Cléarque.
    — Oui, général. Des ambassadeurs du Grand Roi demandent à être reçus.”
    » Nous nous apprêtions à répondre “Laisse-les passer”, tant nous étions surpris, quand Cléarque a répondu : “Dis-leur que je suis occupé.
    — Mais tu n’es pas occupé, général, a rétorqué Sophos.
    — Si, je le suis. Je réfléchis à la façon de les recevoir. Un peu d’attente ne peut que leur faire du bien. Nous ne devons pas nous montrer trop désireux de négocier, sinon ils penseront que nous sommes faibles. Mais j’ai une autre raison. Je veux que mes soldats soient parfaitement alignés et coiffés, qu’ils arborent une armure étincelante et brandissent un bouclier reflétant les éclats du soleil. Nous devons faire preuve d’une discipline et d’un moral intacts. Plus que mes paroles ou mes exigences,

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