L'art de la Guerre (Les Treize Articles)
réel lorsque l'ennemi croit vous avoir occasionné quelques
pertes ; que vous soyez occupé de quelque utile travail
lorsqu'il vous croit enseveli dans le repos, et que vous usiez de
toute sorte de diligence lorsqu'il ne croit apercevoir dans vous
que de la lenteur : c'est ainsi qu'en lui donnant le change,
vous l'endormirez lui-même pour pouvoir l'attaquer lorsqu'il y
pensera le moins, et sans qu'il ait le temps de se reconnaître.
L'art de profiter du près et du loin consiste
à tenir l'ennemi éloigné du lieu que vous aurez choisi pour votre
campement, et de tous les postes qui vous paraîtront de quelque
conséquence. Il consiste à éloigner de l'ennemi tout ce qui
pourrait lui être avantageux, et à rapprocher de vous tout ce dont
vous pourrez tirer quelque avantage. Il consiste ensuite à vous
tenir continuellement sur vos gardes pour n'être pas surpris, et à
veiller sans cesse pour épier le moment de surprendre votre
adversaire.
Ainsi prenez une voie indirecte et divertissez
l'ennemi en lui présentant le leurre [3]
;
de cette façon vous
pouvez vous mettre en route après lui, et arriver avant lui. Celui
qui est capable de faire cela comprend l'approche directe et
indirecte.
De plus : ne vous engagez jamais dans de
petites actions que vous ne soyez sûr qu'elles tourneront à votre
avantage, et encore ne le faites point si vous n'y êtes comme
forcé, mais surtout gardez-vous bien de vous engager à une action
générale si vous n'êtes comme assuré d'une victoire complète. Il
est très dangereux d'avoir de la précipitation dans des cas
semblables ; une bataille risquée mal à propos peut vous
perdre entièrement : le moins qu'il puisse vous arriver, si
l'événement en est douteux, ou que vous ne réussissiez qu'à demi,
c'est de vous voir frustré de la plus grande partie de vos
espérances, et de ne pouvoir parvenir à vos fins.
Avant que d'en venir à un combat définitif, il
faut que vous l'ayez prévu, et que vous y soyez préparé depuis
longtemps ; ne comptez jamais sur le hasard dans tout ce que
vous ferez en ce genre. Après que vous aurez résolu de livrer la
bataille, et que les préparatifs en seront déjà faits, laissez en
lieu de sûreté tout le bagage inutile, faites dépouiller vos gens
de tout ce qui pourrait les embarrasser ou les surcharger ; de
leurs armes mêmes, ne leur laissez que celles qu'ils peuvent porter
aisément.
Veillez, lorsque vous abandonnez votre camp
dans l'espoir d'un avantage probable, à ce que celui-ci soit
supérieur aux approvisionnements que vous abandonnez sûrement.
Si vous devez aller un peu loin, marchez jour
et nuit ; faites le double du chemin ordinaire ; que
l'élite de vos troupes soit à la tête ; mettez les plus
faibles à la queue.
Prévoyez tout, disposez tout, et fondez sur
l'ennemi lorsqu'il vous croit encore à cent lieues
d'éloignement : dans ce cas, je vous annonce la victoire.
Mais si ayant à faire cent lieues de chemin
avant que de pouvoir l'atteindre, vous n'en faites de votre côté
que cinquante, et que l'ennemi s'étant avancé en fait autant ;
de dix parties, il y en a cinq que vous serez vaincu, comme de
trois parties il y en a deux que vous serez vainqueur. Si l'ennemi
n'apprend que vous allez à lui que lorsqu'il ne vous reste plus que
trente lieues à faire pour pouvoir le joindre, il est difficile
que, dans le peu de temps qui lui reste, il puisse pourvoir à tout
et se préparer à vous recevoir.
Sous prétexte de faire reposer vos gens,
gardez-vous bien de manquer l'attaque, dès que vous serez arrivé.
Un ennemi surpris est à demi vaincu ; il n'en est pas de même
s'il a le temps de se reconnaître ; bientôt, il peut trouver
des ressources pour vous échapper, et peut-être même pour vous
perdre.
Ne négligez rien de tout ce qui peut
contribuer au bon ordre, à la santé, à la sûreté de vos gens tant
qu'ils seront sous votre conduite ; ayez grand soin que les
armes de vos soldats soient toujours en bon état. Faites en sorte
que les vivres soient sains, et ne leur manquent jamais ; ayez
attention à ce que les provisions soient abondantes, et rassemblées
à temps, car si vos troupes sont mal armées, s'il y a disette de
vivres dans le camp, et si vous n'avez pas d'avance toutes les
provisions nécessaires, il est difficile que vous puissiez
réussir.
N'oubliez pas d'entretenir des intelligences
secrètes avec les ministres étrangers, et soyez toujours instruit
des desseins que
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