L'art de la Guerre (Les Treize Articles)
les maladies, commençant à se mettre dans
l'armée, semblent devoir y faire bientôt de grands ravages. Si vous
vous trouvez dans de telles circonstances, hâtez-vous de livrer
quelque combat. Je vous réponds que vos troupes n'oublieront rien
pour bien se battre. Mourir de la main des ennemis leur paraîtra
quelque chose de bien doux au prix de tous les maux qu'ils voient
prêts à fondre sur eux et à les accabler.
V. Si, par hasard ou par votre faute, votre
armée se rencontrait dans des lieux plein de défilés, où l'on
pourrait aisément vous tendre des embûches, d'où il ne serait pas
aisé de vous sauver en cas de poursuite, où l'on pourrait vous
couper les vivres et les chemins, gardez-vous bien d'y attaquer
l'ennemi ; mais si l'ennemi vous y attaque, combattez jusqu'à
la mort. Ne vous contentez pas de quelque petit avantage ou d'une
demi victoire ; ce pourrait être une amorce pour vous défaire
entièrement. Soyez même sur vos gardes, après que vous aurez eu
toutes les apparences d'une victoire complète.
VI. Quand vous saurez qu'une ville, quelque
petite qu'elle soit, est bien fortifiée et abondamment pourvue de
munitions de guerre et de bouche, gardez-vous bien d'en aller faire
le siège ; et si vous n'êtes instruit de l'état où elle se
trouve qu'après que le siège en aura été ouvert, ne vous obstinez
pas à vouloir le continuer, vous courrez le risque de voir toutes
vos forces échouer contre cette place, que vous serez enfin
contraint d'abandonner honteusement.
VII. Ne négligez pas de courir après un petit
avantage lorsque vous pourrez vous le procurer sûrement et sans
aucune perte de votre part. Plusieurs de ces petits avantages qu'on
pourrait acquérir et qu'on néglige occasionnent souvent de grandes
pertes et des dommages irréparables.
VIII. Avant de songer à vous procurer quelque
avantage, comparez-le avec le travail, la peine, les dépenses et
les pertes d'hommes et de munitions qu'il pourra vous occasionner.
Sachez à peu près si vous pourrez le conserver aisément ;
après cela, vous vous déterminerez à le prendre ou à le laisser
suivant les lois d'une saine prudence.
IX. Dans les occasions où il faudra prendre
promptement son parti, n'allez pas vouloir attendre les ordres du
prince. S'il est des cas où il faille agir contre des ordres reçus,
n'hésitez pas, agissez sans crainte. La première et principale
intention de celui qui vous met à la tête de ses troupes est que
vous soyez vainqueur des ennemis. S'il avait prévu la circonstance
où vous vous trouvez, il vous aurait dicté lui-même la conduite que
vous voulez tenir.
Voilà ce que j'appelle les neuf changements ou
les neuf circonstances principales qui doivent vous engager à
changer la contenance ou la position de votre armée, à changer de
situation, à aller ou à revenir, à attaquer ou à vous défendre, à
agir ou à vous tenir en repos. Un bon général ne doit jamais
dire :
Quoi qu'il arrive, je ferai telle chose, j'irai là,
j'attaquerai l'ennemi, j'assiégerai telle place.
La
circonstance seule doit le déterminer ; il ne doit pas s'en
tenir à un système général, ni à une manière unique de gouverner.
Chaque jour, chaque occasion, chaque circonstance demande une
application particulière des mêmes principes. Les principes sont
bons en eux-mêmes ; mais l'application qu'on en fait les rend
souvent mauvais.
Un grand général doit savoir l'art des
changements. S'il s'en tient à une connaissance vague de certains
principes, à une application routinière des règles de l'art, si ses
méthodes de commandement sont dépourvues de souplesse, s'il examine
les situations conformément à quelques schémas, s'il prend ses
résolutions d'une manière mécanique, il ne mérite pas de
commander.
Un général est un homme qui, par le rang qu'il
occupe, se trouve au-dessus d'une multitude d'autres hommes ;
il faut par conséquent qu'il sache gouverner les hommes ; il
faut qu'il sache les conduire ; il faut qu'il soit
véritablement au-dessus d'eux, non pas seulement par sa dignité,
mais par son esprit, par son savoir, par sa capacité, par sa
conduite, par sa fermeté, par son courage et par ses vertus. Il
faut qu'il sache distinguer les vrais d'avec les faux avantages,
les véritables pertes d'avec ce qui n'en a que l'apparence ;
qu'il sache compenser l'un par l'autre et tirer parti de tout. Il
faut qu'il sache employer à propos certains artifices pour tromper
l'ennemi, et qu'il se
Weitere Kostenlose Bücher