L'Art Médiéval
d’accord
avec l’essentiel de ceux que lui apporta Confucius jusqu’au
nirvânisme de l’un et au fatalisme de l’autre qui lui permettront
d’endormir dans l’indifférence les velléités de révolte qu’il
pourrait avoir.
Aussi loin que nous puissions remonter dans
l’extrême enfance de la Chine, elle est déjà solidifiée dans
quelques abstractions métaphysiques et quelques entités morales
d’où découleront désormais toutes ses formes d’expression. L’Aryen
va du concret à l’abstrait, le Chinois de l’abstrait au concret.
Chez l’Aryen, l’idée générale est le fleurissement de l’observation
objective et l’abstraction toujours en devenir. Chez le Chinois,
l’idée générale semble antérieure à l’étude objective du monde et
les progrès de l’abstraction se sont arrêtés net dès qu’une loi
morale suffisante à maintenir le lien social est apparue au
philosophe. En Occident, le symbole sort de la vie pour s’en
dégager peu à peu par voie de généralisations progressives qui
s’élargissent sans arrêt ou repartent sur d’autres bases. En Chine,
le symbole gouverne la vie et l’enferme de toutes parts.
La réalité toujours devenante que désire
l’Occidental, la conquête idéaliste qui le tente, la tentative
d’ascension de l’homme vers l’harmonie, l’intelligence et la
moralité, le Chinois ne semble pas les soupçonner. Il a trouvé, du
moins il croit avoir trouvé, son mode de sociabilité. Pourquoi
changerait-il ? Quand nous dénonçons son absence d’idéalisme,
peut-être ne faisons-nous que constater que son vieil idéal a
depuis longtemps réalisé ses promesses et qu’il jouit du privilège
unique de se maintenir dans la citadelle morale dont il a su
s’emparer alors que tout s’écoule, se décompose et se reforme
autour de lui. Quoi qu’il en soit, on ne le verra jamais aborder la
forme avec le désir de lui faire exprimer, comme l’art antique et
l’art renaissant tout entiers, l’effort d’adaptation intellectuelle
et sensuelle de l’être humain à la nature qui l’entoure, mais
toujours avec la volonté de tirer d’elle un symbole tangible de son
adaptation morale. Il visera toujours à l’expression morale, et
cela sans demander au monde de lui fournir d’autres éléments que
ceux qu’il sait bien y trouver d’avance, sans demander aux gestes
qui le traduisent de nouvelles révélations. La morale sera
cristallisée dans une attitude préméditée, comme elle est
cristallisée dans les sentences qui le guident. Il n’aura plus qu’à
feuilleter la nature ainsi qu’un dictionnaire de physionomies et de
formes propres à fixer les enseignements des sages par leurs
combinaisons. L’émoi sensuel ne l’atteint plus que par surprise,
quand il étudie de trop près les éléments de la transposition
plastique, et sa science de la forme, dégagée de toute attache
matérielle, ne lui sert plus qu’à définir des abstractions. L’art
immobile démontre des vérités acquises au lieu de constater des
intuitions nouvelles.
En somme, le Chinois n’étudie pas la matière
du monde pour lui demander de l’instruire. Il l’étudie quand il lui
devient nécessaire d’objectiver ses croyances pour y attacher plus
fermement les hommes qui les partagent. Il est vrai qu’il apporte à
cette étude d’incomparables dons de patience, de ténacité et de
lenteur. Les tâtonnements anciens des premiers artistes chinois
nous échappent… On dirait que, pendant dix ou vingt siècles, ils
ont étudié en secret les lois de la forme avant de demander à la
forme d’exprimer les lois de l’esprit.
II
En Chine, l’expression plastique est une sorte
de graphisme conventionnel analogue à l’écriture. Les premiers
peintres chinois, les moines bouddhistes qui, au cours des mêmes
siècles où les moines chrétiens recueillaient les débris de
l’esprit antique, cultivèrent dans leurs couvents la seule fleur de
haut idéalisme qui fleurit pendant trente siècles sur cette terre
immuable, les premiers peintres chinois étaient aussi des
écrivains. Il n’y avait pas d’autres peintres que les poètes qui
peignaient et écrivaient avec le même pinceau et commentaient l’un
par l’autre le poème et l’image interminablement. Les signes
idéographiques qu’il fallait une vie pour apprendre et qui
revêtaient une sorte de beauté spirituelle que les artistes
saisissaient dans la ténuité, l’épaisseur ou la complexité
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