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L'Art Médiéval

L'Art Médiéval

Titel: L'Art Médiéval Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Élie Faure
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premier outil technique. Ainsi le monde objectif trop
oublié se venge. L’ivresse de l’esprit débarrassé de toute entrave
est interdite à l’homme qui n’a plus le droit de chercher des
formes d’équilibre différentes de celles que l’ancêtre réalisa pour
son repos.

III
    C’est à la fois l’ancre où se tient l’âme
chinoise, et son écueil. Son architecture de luxe, les pagodes, les
palais, le révèle en pleine clarté. Tout y est préconçu, artificiel
et fait pour la démonstration d’un certain nombre de règles
immémoriales de métaphysique et de bon sens. La faïence et l’émail
des toits, les bleus, les verts, les jaunes miroitant au soleil
sous le voile toujours suspendu de la poussière, sont surtout là
pour la joie de l’œil, bien que chacun d’eux symbolise un phénomène
météorologique ou les bois, les labours, les eaux, un pan de la
robe terrestre. Et si tout est bleu dans les temples du ciel, tout
rouge dans les temples du soleil, tout jaune dans les temples de la
terre, tout blanc-bleuté dans les temples de la lune, c’est afin
d’établir entre les harmonies sensuelles et les harmonies
naturelles une solidarité intime et continue, où la sérénité du
cœur se fixe, s’immobilise et se démontre à elle-même sa certitude
et sa nécessité. Mais, au-dessous du grand besoin d’unité et de
calme, le fétichisme et la magie affirment patiemment leurs droits.
L’orientation de l’édifice, le nombre toujours impair des toits
superposés et relevés aux angles, souvenir des tentes mongoles, les
clochettes grelottant à la moindre brise, les monstres de terre
cuite sur les corniches ajourées, les maximes morales peintes
partout, les découpures de bois doré, tout cet ensemble en buissons
d’épines, ces crêtes, ces arêtes, ces formes hérissées et griffues,
tout répond au souci constant d’attirer ou d’écarter de soi-même et
des maisons voisines les génies du vent et de l’eau. Ainsi pour les
grands parcs artificiels où tous les accidents du sol, montagnes,
rochers, ruisseaux, cascades, bois et taillis sont imités jusqu’à
la manie, comme si les Chinois, qui ne changent jamais, hors des
villes, l’aspect primitif de la terre natale, témoignaient le
respect qu’elle leur inspire en la torturant jusqu’à la réduire à
la mesure du luxe humain.
    C’est un peuple plus soumis que religieux,
plus respectueux qu’enthousiaste. Non qu’il manque de dieux, non
qu’il ne les croie pas réels. Ceux qui se disent les disciples du
profond Lao-Tseu, les taoïstes, ont introduit chez les Chinois
autant de divinités, peut-être, qu’il en naît et meurt chaque jour
sur la terre indienne. Mais toutes ces croyances qui ne se
traduisent, d’ailleurs, que par des pratiques de superstition
populaire, se brouillent, se pénètrent, coexistent même presque
toujours chez le même individu. Au fond qu’il soit bouddhiste,
taoïste, musulman ou chrétien, le Chinois croit ce qu’on lui a
conseillé de croire sans éprouver le grand besoin mystique
d’accroître, de modifier ou d’imposer sa foi. Ses dieux, ce sont
des abstractions très positives, la longévité, la richesse, la
sensualité, la littérature, la charité, ce sont des démons, des
génies protecteurs ou hostiles, les esprits de la terre, du ciel,
de la mer, des étoiles, des montagnes, des villes, des villages,
des vents, des nuages, des eaux courantes, ce sont encore des
savants et des lettrés héroïsés. Mais ils n’ont pas d’autre
importance. Si le Chinois reste très sage, s’il observe le respect
filial, obéit aux ancêtres, à l’Empereur, aux mandarins qui le
représentent, s’il prend bien garde d’orienter sa maison de manière
à ne pas gêner les esprits et à préserver leurs demeures
aquatiques, aériennes ou souterraines, – ce qui révèle en lui
l’hygiéniste, le météorologiste et l’agriculteur – il ne doute pas
que ces esprits le regardent avec bienveillance. Nulle inquiétude
qui le laboure en profondeur. En éteignant le désir on éteint le
remords, mais on éteint aussi le rêve.
    Ce qui s’accroît, à cette longue habitude de
discipline et d’obéissance morale, c’est la patience. Le Chinois a
scruté si longuement les formes avant de se permettre d’imprimer
dans la matière le symbole de ses abstractions, que toutes sont
définies dans sa mémoire par leurs caractères essentiels. Pour
parvenir jusqu’à la loi, nous écartons sans hésiter,

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