L'Art Médiéval
l’incomparable
science dont les avaient armés deux ou trois mille ans
d’observation pratique et immédiatement intéressée. Avec une
facilité déconcertante, ils dédaignèrent à ce moment-là le langage
conventionnel qui avait fait la gloire de leur art, la liberté
disciplinée qui leur permettait d’exprimer les abstractions
sentimentales à condition de respecter et d’exalter les seules lois
de l’harmonie.
Hors des oiseaux, des poissons, des fleurs,
des choses qu’il faut tenir entre les doigts pour les décrire, hors
des portraits directs, purs et nets, dont la pénétration candide
étonne, hors des paravents brodés et des peintures décoratives qui
tremblent de battements d’ailes, la grande peinture chinoise nous
envahit à la façon des ondes musicales. Elle éveille des sensations
intimes et vagues, d’une profondeur sans limites, mais impossibles
à situer, qui passent les unes dans les autres et s’enflent de
proche en proche pour nous conquérir entièrement sans nous
permettre d’en saisir l’origine et la fin. Les formes chinoises
peintes n’ont pas l’air d’être encore sorties du limon primitif. Ou
bien encore on les dirait apparues à travers une couche d’eau si
limpide, si calme qu’elle ne troublerait pas leurs tons depuis
mille ans saisis et immobilisés sous elle. Pollen des fleurs,
nuances indécises de la gorge des oiseaux, couleurs subtiles qui
montent, avec leur maturité même, de la profondeur des fruits, les
soies peintes de la Chine n’ont rien à voir avec l’objet. Ce sont
des états d’âme en présence du monde, et l’objet n’est qu’un signe,
d’ailleurs profondément aimé, qui suggère cet état d’âme suivant la
façon dont il se comporte et se combine avec les autres objets. La
transposition est complète, et constante. Et elle leur permet de
peindre ou plutôt d’évoquer des choses jamais vues, – des fonds
sous-marins par exemple, – avec une poésie si profonde qu’elle crée
la réalité. Ainsi, sur une toile de la grandeur d’une serviette où,
dans le brouillard du matin, un héron lisse ses plumes, l’espace
immense est suggéré. L’espace est le complice perpétuel de
l’artiste chinois. Il se condense autour de ses peintures avec tant
de lenteur subtile qu’elles semblent émaner de lui. Ils peignent
leurs noirs et leurs rouges avec une douceur puissante, et comme
s’ils les dégageaient peu à peu de la patine d’ambre sombre qu’ils
paraissent avoir prévue et calculée. Des enfants jouent, des femmes
passent, des sages et des dieux devisent, mais ce n’est jamais cela
qu’on voit. On entend des mélodies paisibles qui tombent sur le
cœur en nappes de sérénité.
La sérénité, par malheur, s’use aussi vite que
l’enthousiasme, car elle est comme lui l’effort. À mesure qu’ils
s’éloignaient des sources, les artistes chinois en arrivaient, pour
se créer l’état mental qu’avaient prescrit les sages, à demander au
vin l’enthousiasme artificiel d’où naissait, suivant la dose
absorbée et l’orientation de l’esprit, la fougue, la joie,
l’ironie, la sérénité elle-même. À force d’être maîtres d’eux, ils
écrasaient en eux la vie. De siècle en siècle, avec la lenteur
étrange qui caractérise leur action, la peinture des Chinois, prise
à son service par la cour impériale dès qu’elle sortit des
couvents, suivit l’évolution de leurs autres langages avec un
entêtement d’autant plus dangereux pour elle qu’elle doit rester,
si elle veut vivre, le plus individuel de tous. Elle se développa
dans une atmosphère à peu près irrespirable de formules, de règles
et de canons dont on remplit vingt mille ouvrages, codes,
histoires, listes de praticiens et nomenclatures de tableaux,
recueils techniques qui transformèrent l’art de peindre en une
sorte de science exacte et firent naître des milliers d’imitateurs
et de plagiaires d’une incroyable habileté. Elle retourna vers ses
origines graphiques en créant d’énormes volumes de modèles où l’on
pouvait trouver des formes dessinées dans tous leurs détails et
sous tous leurs aspects, et qui ne laissaient plus au peintre qu’un
travail de groupement. Le vice capital de l’écriture chinoise qui
arrête le développement de l’esprit en enrayant l’échange des idées
et précipite l’abstraction vers la sophistique puérile
réapparaissait dans l’expression dernière de l’art qu’elle avait
doté de son
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