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L'Art Médiéval

L'Art Médiéval

Titel: L'Art Médiéval Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Élie Faure
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des
arabesques noires dont ils couvraient le papier blanc, les
entraînèrent peu à peu à manier le pinceau trempé d’encre de Chine
avec une prodigieuse aisance. Quand la poésie, née du même courant
sentimental que la peinture, eut senti la fraîcheur et le calme du
monde autour des monastères isolés dans les hauts vallons, les
peintres qui la commentaient jetèrent sur lui le premier regard
innocent que la philosophie traditionnelle ait permis aux artistes
chinois. Le paysage, cet instrument de libération et de conquête,
leur apparut tout à coup. Et l’âme bouddhique trouva en eux à ce
moment-là son expression la plus sereine [4] .
    Jamais les peintres chinois, malgré leur forme
brève, n’allèrent aussi loin que leurs élèves, les artistes du
Nippon, dans la stylisation schématisée de la nature. Il ne
s’agissait pas de décorer des maisons ou des temples. Ils
illustraient des poèmes pour eux, dans ce sentiment à la fois
profondément doux et profondément égoïste de l’anachorète arrivé à
l’apaisement passionnel. L’agitation des villes ne les atteignait
pas. Les images qu’ils traçaient sur la soie avec une minutie sans
lassitude ou faisaient naître lentement des taches d’encre
qu’écrasait leur pinceau sur le papier de riz, n’exprimaient pas
souvent autre chose que la paix intérieure du philosophe
feuilletant les écrits des sages au milieu des arbres indulgents ou
sur le bord des eaux pures. Ils n’entendaient pas d’autres bruits
que celui des torrents dans la montagne ou le bêlement des
troupeaux. Ils aimaient les heures indécises, la lueur des nuits
lunaires, l’hésitation des saisons moyennes, les brumes qui montent
à l’aube des rizières inondées [5] . Ils
s’étaient fait une fraîcheur d’âme pareille à celle du matin dont
les oiseaux s’enivrent.
    Il est à peu près impossible de considérer la
peinture chinoise selon cette courbe harmonieuse qui assure à
presque toutes les Écoles l’apparence d’une concentration
synthétique de tous les éléments de l’œuvre à ses débuts, plus tard
de leur épanouissement progressif dans une expression équilibrée,
plus tard encore de leur désordre et de leur dispersion.
    Suivant le lieu, suivant les circonstances,
l’aspect d’un siècle changera. L’hiératisme bouddhique, par
exemple, n’apparaîtra pas ici. Et là, il se prolongera jusqu’au
seuil du monde moderne ; isolé dans quelque région éloignée
des centres de vie, ou bien retranché du monde environnant qui vit
et bouge, au fond de quelque cloître bien fermé. Il faut parfois
deux cents ans pour qu’une province s’anime et obéisse aux
sentiments d’une autre qui déjà les a oubliés. Chez les Thibétains
c’est constant, mais c’est aussi plus explicable. La Corée, par
exemple, retarde toujours sur la Chine, alors que le Japon, qui
brûle les étapes, est capable d’imiter à sa guise une forme
disparue de Chine depuis dix siècles ou naissante à peine
aujourd’hui. Le Thibet s’imprègne de l’Inde, le Turkestan de la
Perse, l’Indochine du Cambodge et du Laos. En Chine même c’est
pareil, suivant la dynastie, l’école, la région, la religion. Seul,
comme partout, presque immuable dans l’espace et la durée, l’art
bouddhique, évidemment plus affaibli à mesure que la foi baisse,
reste distinct de tout ce qui n’est pas lui-même, distinct et
distant, langage symbolique de l’infini et de l’universel, lumière
spirituelle concentrée dans une forme humaine assise, et ruisselant
de toutes ses surfaces inépuisablement.
    Si l’on considère la peinture chinoise en
masse et dans son ensemble et sans tenir compte des tentatives
locales d’émancipation, des survivances artificielles de
soumission, de la confusion générale de son développement, on peut
dire que quinze siècles s’écoulèrent, peut-être, avant que
l’égoïsme chinois consentît à s’arracher à la vie contemplative
pour descendre vers le torrent où le martin-pêcheur guette sa
proie, ou s’approcher furtivement de la branche sur laquelle le
rossignol, gelé par l’aube, roule son dernier sanglot en
ébouriffant ses plumes, ou observer le merle noir qui sautille sur
la neige. Ce n’est guère que sous les Mings, au XIV e , au
XV e siècle, que les peintres chinois regardèrent de plus
près les oiseaux, les poissons, les fleurs, comme s’ils voulaient
léguer au Japon qui leur demandait de l’instruire,

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